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Le blog de Eric de Falco

Le blog de Eric de Falco

conseiller général du 1° canton de Rouen


En bande organisée

Publié par Eric de Falco sur 30 Novembre 2013, 07:30am

A 20 ans, ils étaient les rois du monde. Ils posaient sur une plage de Figari, radieux, le torse bombé dans leur tee-shirt HEC qui disait: «Life is a week-end.» C'était leur programme commun, bébés requins biberonnés au numérique et à la mondialisation joyeuse. Ils écoutaient Radiohead, se roulaient des pelles et s'enivraient à la vodka. Ils ne doutaient de rien, leur diplôme les mènerait aux sommets.

A 40 ans ils y sont, et leur sourire est triste. Clara, qui rêvait d'être grand reporter, pisse de la copie pour des chefs désabusés vendus à la pub et au marketing. Son mari, Bertrand, dir cab à Bercy, se shoote aux sédatifs PC pour supporter ses journées passées à commenter d'absurdes sondages, faire semblant d'agir et de coller des rustines sur une économie en miettes. Vanessa, la reine de la com, comble sa solitude au Botox. Antoine vit sur la Toile, hacker solitaire. Jérémie et Alison, les «Ken et Barbie» de la promo, survivent à Saint-Cloud, dans leur somptueuse demeure de papier glacé, elle, desperate housewife, lui, autiste richissime depuis qu'il s'est converti en médecin de banques, spécialiste en résection d'actifs pourris.

Ils sont tous pareils, otages de leur confort et de leur iPhone, plus le temps de rien, pas même de faire l'amour ni d'embrasser leurs enfants. «Que sont-ils devenus ?», se demande Seb, lui-même esclave surpayé de Folman Sachs. On le surnommait, pour ses talents d'enfumeur, le Lance Amstrong de la communication financière. Il va finir écrabouillé au petit matin sous un RER.

«En bande organisée», ils se sont élevés, entraidés, fourvoyés, jusqu'à perdre leur âme. Le roman de Flore Vasseur est un polar décapant sur le renoncement, les petits arrangements d'une élite qui, à force d'abdiquer, s'est rendue impuissante et ne croit plus en rien. Ca s'avale d'un trait, comme un whisky sec. L'ancienne élève de HEC, consultante à ses heures perdues, excelle dans la peinture des désillusions contemporaines.

Au-delà des petites vies si bien scalpées de la bande de HEC, les déhanchés d'Alison au Pink Platinium, les errances de Seb parmi les révoltés d'Occupy Wall Street, les consultations lunaires de Jérémie à Reykjavik, au chevet d'un ministre dégoulinant de sang de mouton, Flore Vasseur raconte «la grande OPA de la finance sur l'humanité». Elle la dissèque, de la dérégulation des marchés à la convergence artificielle des économies européennes, permise par les petits mensonges des politiques et les traficotages des banques, afin de rendre possible la monnaie unique.

Grâce aux politiques et aux technocrates les conseillant, la finance est devenue une industrie et non un moyen de financer l'activité, écrit-elle. Le politique a gobé sans le moindre doute ce fantasme d'une industrie financière ultra-sophistiquée et parfaitement dupe. Magique, elle avait d'ailleurs tout prévu, les assurances, les dérivés, sous couvert d'acronymes de plus en plus incompréhensibles, l'innovation perpétuelle. Et moins le politique comprend, moins il régule... Il s'est passé les menottes. Il a donné les clés à la finance.»

Flore Vasseur n'invente rien, ni le parachutage des anciens banquiers de Goldman au sein des grandes institutions internationales, ni le maquillage des comptes européens. Celle qui, petite, voulait être journaliste, a rencontré des traders et des hackers, elle a été au siège de Goldman à Manhattan. Elle livre ses sources, accessibles, au moyen de flashcodes, en ligne. Après ça, on ne s'interroge plus sur les promesses évanouies, l'inertie des politiques. Tout devient limpide. Vite, un double scotch.

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