Il se fait désirer, comme souvent. Sous les lustres de l’Elysée, en ce samedi lumineux de septembre, l’attendent ceux qui ont travaillé à son nouveau rapport sur l’économie positive. Il y a là l’ancienne ministre de la Culture Christine Albanel, Henri Lachmann, ex-PDG de Schneider Electric, Me William Bourdon, le pourfendeur des paradis fiscaux, et le moine bouddhiste Matthieu Ricard en tunique jaune d’or, étincelant au milieu de cette assemblée cravatée de chefs d’entreprise, d’associatifs et de jeunes gens intelligents.
Jacques Attali paraît s’amuser d’être là, aux côtés de ce président qu’il a connu tout bébé ou presque, qu’il a introduit, jeune conseiller, ici, au Palais. François Hollande le prendrait bien dans ses bras. En public, il préfère l’accolade et le vouvoiement. "A chaque mandat, il y a une commission Attali, taquine le chef de l’Etat. En 1981, cela a commencé avec Jacques, lui-même, tout seul. Cela s’est poursuivi sous le gouvernement précédent…" Eclats de rire. Hollande sourit. Attali aussi, lèvres pincées. L’élève a gentiment mouché le maître, mais c’est le jeu, et puis l’important est d’être là encore et toujours, au cœur du pouvoir.
Inoxydable sherpa de tous les présidents, ami des puissants par-delà les continents, essayiste à 6 millions d’exemplaires vendus, insubmersible malgré les accusations de plagiat, rapporteur et futurologue en chef, expert en économie, en mythologie, en informatique, en nanotechnologies et même en amour… Cette rentrée encore, "Jacquot", comme l’appelait l’ami Coluche, professe sur toutes les ondes. Après avoir lancé son forum sur l’économie positive, au Havre, au côté de Joseph Stiglitz, il promeut ses nouvelles créations, un essai sur le futur avec Shimon Peres (chez Fayard), une histoire de la modernité (chez Laffont), avant un énième roman… Attali forever, avec ce petit parfum de soufre qui, depuis toujours, le rend suspect.
Il fait partie des meubles, il est le symbole d’une drôle de France qui peine à renouveler ses élites. Il est aussi un système à lui tout seul, mécanique complexe et bien huilée qui tourne à plein régime, entre l’humanitaire, la politique, le monde des affaires. Pour le bien public, dit-il. Et pour sa propre gloire, ses rêves d’éternité. [...]
Attali a été l’un des visiteurs favoris de Sarkozy, président survolté, y compris durant la campagne de 2012, jusqu’à ce qu’il sente la défaite inéluctable et écrive dans "le Monde" qu’il ne resterait rien du sarkozysme. Attali s’en est allé soutenir Hollande. Il lui a donné quelques conseils pour combattre l’adversaire, et d’abord celui d’être plus coriace. Après la victoire, les deux hommes sont allés en pèlerinage, dans le petit bureau où François bûchait avec Ségolène. Ils ont mis au point, avec Emmanuel Macron, le fonctionnement de l’Elysée. Depuis, l’ancien sherpa a repris du service. "Nous parlons de tout, plusieurs fois par semaine, de la vie, de la politique économique, étrangère, de la montée du FN."Hollande connaît son Jacquot par cœur. Il n’ignore rien de sa fuite en avant, de ses lubies, de ses ambiguïtés. Il sait qu’il pousse parfois ses dossiers en coulisses, qu’il a besoin d’être partout, qu’il appelle aussi ses ministres. Il le prend comme il est. Génial… et insupportable.