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Le blog de Eric de Falco

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conseiller général du 1° canton de Rouen


La TVA, l'impôt invisible...

Publié par Eric de Falco sur 9 Avril 2014, 06:26am

On est à quelques jours de la défaite de Dien Bien Phu en Indochine, et la France est secouée par des jacqueries fiscales depuis qu'en 1953 un libraire-papetier de Saint-Céré (Lot), Pierre Poujade, a créé l'Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), qui entend défendre le petit commerce contre « l'Etat vampire » et le fisc.

Le 29 mars 1954, le président du Conseil, Joseph Laniel, et son ministre des finances et des affaires économiques, Edgar Faure, font voter par l'Assemblée nationale, un projet de loi « portant réforme fiscale » qui supprime la taxe à la production qui existait jusqu'alors et la remplace par « une taxe sur la valeur ajoutée perçue sur les affaires ». Le 8 avril 1954, le Conseil de la République (Sénat) adopte le texte. Et la loi est promulguée par le président de la République, René Coty, le 10 avril.

La TVA est née. Son inventeur est un jeune inspecteur des finances de 37 ans, Maurice Lauré, diplômé de l'Ecole polytechnique, que le sociologue Raymond Aron qualifiera plus tard de « prince de l'esprit ». Il s'agit de décomplexifier un système fiscal qui a toujours été incompréhensible au commun des mortels et qui a été à l'origine, dans l'histoire, de plusieurs révolutions. Jugés souvent injustes parce qu'ils frappent indifféremment les riches et les pauvres, ces impôts constituent l'ossature d'un système « en cascade » qui conduit à taxer plusieurs fois le même produit aux différentes étapes de sa fabrication. Après la Libération, la taxe à la consommation et celle à la production, dont le taux était calculé sur le prix de vente global, interviennent tout au long du circuit : sous-traitant, façonnier, ensemblier, grossiste, commerçant, consommateur, chacun devait s'en acquitter sur l'ensemble de ses achats comme sur la totalité de la valeur ajoutée, à savoir la richesse créée par l'entreprise entre la valeur de ce qu'elle a achetée et la valeur de ce qu'elle revend.

En 1948, alors que le pays est toujours dans une phase de reconstruction, l'Etat entend lutter contre la fraude – ce qui échappe au fisc. Il crée pour ce faire une Direction générale des impôts (DGI), qui lui permet d'optimiser le contrôle fiscal. Les contribuables grondent. Dans son édition du 18 avril 1950, le journal L'Aurore dénonce « des commandos de contrôleurs », décrivant des « hommes de choc » qui « se précipitent avec furie sur les positions à prendre, dévastent la comptabilité et interrogent avec autorité ». En 1953, Pierre Poujade surfe sur ce mouvement « anti-fisc », auquel il ajoute une touche d'antiparlementarisme. Qualifié bientôt de « Poujadolf », il créera ensuite un mouvement politique aux lisières de l'extrême droite, qui lui permettra d'envoyer, en 1956, 52 députés – parmi lesquels Jean-Marie Le Pen – à l'Assemblée nationale.

Nommé directeur adjoint à la DGI en 1952, Maurice Lauré est convaincu de la nécessité de simplifier et d'uniformiser le système des taxes indirectes. Il s'inspire d'une idée d'un homme d'affaires allemand, Wilhelm von Siemens, qui, dans les années 1920, voulait taxer la valeur « supplémentaire » d'une production. La TVA qu'il invente propose un nouveau mécanisme selon lequel les entreprises paieront désormais la taxe sur leurs ventes, l'Etat leur remboursant la taxe payée sur leurs achats, afin que la valeur ajoutée soit prise en compte et favorise l'investissement. Comme l'explique un économiste, « l'imposition globale d'une marchandise ne varie pas quel que soit le nombre d'entreprises qui l'ont manipulée, et c'est le consommateur final qui la paie tout entière. Simple et cohérent ». Facile à collecter, difficile à frauder, la TVA a aussi l'avantage d'être neutre vis-à-vis des exportations puisque les acheteurs étrangers n'ont pas à l'acquitter. La DGI, au diapason d'Edgar Faure, n'est pas enthousiasmée par l'idée du jeune inventeur à cause de l'introduction d'un dégrèvement. Maurice Lauré bataille. Et il reçoit le soutien de Pierre Mendès France, alors président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui succédera à Joseph Laniel, comme président du Conseil, en juin 1954. La loi du 10 avril 1954 prévoit plusieurs taux de TVA. Elle est, par exemple, de 7,5 % « sur les produits de charcuterie, plats préparés et conserves de viande contenant, par rapport au poids net total du produit fini, 20 % au moins de viande et abats de triperie couverts par le paiement de la taxe de circulation… ».

Au départ, elle ne concerne que 300 000 industriels et grossistes, soit 15 % des entreprises enregistrées auprès du fisc. Ce n'est qu'en janvier 1968 qu'elle sera généralisée à l'ensemble des commerces, suscitant, de nouveau, la fronde de petits commerçants, qui la surnommeront « taxe de la vorace administration » ou encore « tout va augmenter ». Dans la préface du livre de Denys Brunel, La TVA, invention française, révolution française (Eyrolles, 2012), Valéry Giscard d'Estaing écrit non sans acidité : « L'apport personnel de Maurice Lauré, dont il n'est pas nécessaire de surestimer l'importance, est d'avoir adapté cette idée à la réalité et d'avoir conçu jusqu'au moindre détail un dispositif fiscal compatible avec la vie quotidienne des entreprises, relativement simple au regard de notre vieux système d'impôts indirects et cependant raisonnablement proportionné à la contribution économique de chaque producteur industriel. »

En 2001, l'année de sa mort, Maurice Lauré, qui poursuivit sa carrière dans la banque, devenant président de la Société générale, défendra son « bébé » dans la revue des anciens élèves de Polytechnique, La Jaune et la Rouge : « Je ne suis pas sûr que la véritable nature de la TVA ait bien été assimilée. Beaucoup de professionnels, d'hommes politiques, et même de fiscalistes, s'imaginent que la TVA est assise sur la valeur ajoutée de chaque entreprise. C'est faux. La TVA est assise sur la valeur ajoutée de sa nation et les entreprises servent seulement de percepteurs, avec la certitude qu'elles ne supportent pas l'impôt tant que le produit est chez elles, pourvu qu'elles le perçoivent dès qu'il les quitte. »

La TVA de Maurice Lauré a fait le tour du monde. A la fin des années 1980, elle avait été mise en place dans 48 pays d'Europe de l'Ouest et d'Amérique latine. Tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à l'exception notable des Etats-Unis, l'ont adoptée. Elle est en vigueur aujourd'hui dans plus de 150 pays, où elle représente en moyenne jusqu'à un cinquième du total des recettes fiscales. Et l'Union européenne en a fait un des éléments du passeport que les pays candidats doivent accepter pour y entrer. C'est le triomphe du génial inventeur.

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