Et revoilà Paul Bismuth. Quelques jours après son "retour" en grande pompe, Nicolas Sarkozy voit une des affaires judiciaires les plus délicates pour son avenir politique ressurgir sur le devant de la scène. "Libération", France 3 et France Inter ont ainsi révélé lundi 22 septembre le contenu sensible d'un rapport de police et de procès-verbaux d'audition, dont celui de l'ancien chef de l'Etat, dans le cadre de l'enquête sur l'affaire dite des écoutes. Une affaire dans laquelle Nicolas Sarkozy, après avoir été placé en garde à vue, a été mis en examen le 1er juillet pour trafic d'influence, corruption passive et recel de violation du secret professionnel.
Il est reproché à l'ancien président de la République, et à son avocat Thierry Herzog - mis sur écoute à leur insu -, d'avoir tenté d'obtenir des informations confidentielles auprès d'un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, sur un arbitrage en cours et qui visait à définir si les agendas présidentiels de Nicolas Sarkozy, saisis dans le cadre de l'affaire Bettencourt, pouvait être versés à d'autres dossiers sensibles (affaire Tapie ou financement de la campagne 2007).
Une décision potentiellement cruciale pour l'ancien président de la République, qui va conduire Sarkozy et Herzog à utiliser, à partir de janvier 2014, des lignes téléphoniques secrètes et des pseudonymes mystérieux (dont le désormais fameux "Paul Bismuth") pour élaborer leur plan présumé dans le plus grand secret.
Objectif : obtenir auprès de Gilbert Azibert, ami de 20 ans de Thierry Herzog, des informations sur la procédure en cours au sein de la juridiction, et tenter d'influencer la décision finale. En contrepartie de son aide, le magistrat convoite lui, grâce à l'appui de Nicolas Sarkozy, un poste prestigieux à Monaco.
Les conversations enregistrées entre Thierry Herzog, Nicolas Sarkozy et Gilbert Azibert sont claires sur leurs intentions, et leurs propos ne suscitent pas d'interrogation quant à leur volonté et leurs attentes : Gilbert Azibert est sollicité pour obtenir des informations et démarcher des conseillers à la Cour de cassation. En contrepartie, Nicolas Sarkozy accepte de l'aider à obtenir un poste à Monaco. Ces faits sont constitutifs du trafic d'influence, qui rappelons-le, prévoit l'influence réelle ou supposée", établit clairement Christine Dufau, chef de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), dans ses conclusions datées du 2 juillet.
Pour dresser ces conclusions, les enquêteurs s'appuient notamment sur les écoutes de la ligne baptisée "ligne Bismuth" sur laquelle plusieurs conversations vont attirer leur attention. Et notamment celle du 29 janvier 2014 - dont le contenu avait été révélé par le "Monde" en juillet - lors de laquelle Thierry Herzog explique à Nicolas Sarkozy que "Gilbert" a "bien bossé". C'est la première fois que le magistrat est nommément cité, selon les éléments rapportés par "Libération".
Herzog à Sarkozy : "Surtout, ce qu'il a fait, c'est le truc à l'intérieur quoi…" C'est cette remarque de l'avocat qui va finir de convaincre les policiers sur le rôle suspect de Gilbert Azibert. Pour eux, il s'agit ici forcément de "l'intérieur de la Cour de cassation". D'autant que le lendemain, et c'est l'un des points clés, comme le raconte "Libé", Thierry Herzog précise à Nicolas Sarkozy qu'il a eu accès à l'avis du rapporteur, "qui ne sera jamais publié".
Un avis secret, non consulté par les avocats ou le procureur général, qui conclut au retrait de toutes les mentions relatives aux agendas présidentiels et auquel l'avocat de l'ancien chef de l'Etat n'aurait jamais dû avoir accès. "Tu sais que là, c'est du boulot", ajoute d'ailleurs Herzog au téléphone. Renvoi d'ascenseur Le 5 février, Nicolas Sarkozy interroge pour la première fois son avocat - toujours sur leur ligne secrète - pour savoir comment renvoyer l'ascenseur au magistrat. "Il m'a parlé d'un truc sur Monaco, parce qu'il voudrait être nommé au tour extérieur", lui répond Herzog. "Appelle-le aujourd'hui en disant que je m'en occuperai, parce que moi je vais à Monaco et je verrai le prince", lui rétorque l'ancien président. Et Nicolas Sarkozy confirme ses intentions à Thierry Herzog quelques semaines plus tard, le 24 février : Tu peux lui dire que je fais la démarche. Que je vais faire la démarche auprès du ministre d'Etat demain ou après-demain." Une rencontre actée le lendemain : "Je voulais te dire, pour que tu puisses le dire à Gilbert, que j'ai rendez-vous à midi avec Michel Roger, le ministre d'Etat de Monaco."
Dans son rapport, Christine Dufau écrit ainsi : "Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy ont bénéficié au cours de la journée du 25 février 2014 d'une information leur ayant permis de savoir que des investigations étaient menées en liaison avec la ligne Bismuth." Et de conclure que "les informations dont ils ont bénéficié n'ont pas permis de dérouler normalement des investigations". Ce qui n'aura pas empêché des perquisitions le 4 mars dernier dans les bureaux des deux hommes, trois jours avant les premières révélations du "Monde" et une semaine avant la décision de la Cour de cassation, défavorable à l'ancien chef de l'Etat puisque la saisie de ses fameux agendas a finalement été jugée légale.