A l'heure où l'Allemagne, si souvent citée en exemple par les organisations patronales, décide de créer un salaire minimum, le patronat français choisit de le remettre en cause. Le Medef a beau affirmer haut et fort que la question du Smic ne figure pas dans la version définitive de ses propositions pour créer un million d'emplois, le document révélé par "Les Echos" a déjà produit l'effet d'une bombe lundi 15 septembre. D'ailleurs, au moins dans une version intermédiaire du texte "Comment relancer la dynamique de création d'emplois en France", il était bien question d'obtenir des dérogations sur le salaire minimum.
Au printemps, Pierre Gattaz avait déjà agité cette arme, dans ses premières annonces autour de la création d'1 million d'emplois. Et, immédiatement, l'idée de toucher au Smic avait provoqué un tollé, jusque dans ses propres rangs : Laurence Parisot, patronne du Medef avant lui, évoquait alors une "logique esclavagiste".
Dans la version consultée par "Les Echos", la proposition consiste à mettre en place un salaire inférieur au Smic pour les "populations les plus éloignées de l'emploi, et qui pourrait être complété par des allocations sociales afin de garantir un pouvoir d'achat équivalent au Smic." Un dispositif qui prend étonnamment l'allure des emplois aidés tant décriés par le Medef.
Lors de sa présentation en avril dernier, Pierre Gattaz proposait ainsi ce Smic intermédiaire autour de 600 ou 700 euros net par mois, alors que le Smic actuel est à 1.130 euros net. Le Medef préconisait un abondement de l'Etat pour atteindre entre 1.000 et 1.100 euros. Qu'en penser ?
Pour les tenants de ce Smic intermédiaire, les subventions à l'embauche peuvent avoir un effet durable grâce à l'expérience acquise avec ce premier emploi. Ses détracteurs estiment au contraire que subventionner des populations éloignées de l'emploi peut conduire les employeurs à réduire l'emploi des populations non subventionnées. Mais la mesure est-elle véritablement créatrice d'emplois ?
Selon l'organisation patronale, qui dit l'avoir remisée pour le moment, elle représente entre 50.000 et 100.000 emplois créés en cinq ans. "Cela revient à baisser significativement le coût du travail donc oui, il peut y avoir un effet sur l'emploi", admet Mathieu Plane, chercheur à l'OFCE. "Accompagner la flexibilité d'une baisse du Smic crée des emplois mais des emplois précaires", relative-t-il. Et ce n'est pas tout : Cet effet est à mettre en regard avec ceux sur l'économie et les transferts.
Si c'est l'Etat qui finance, on fait comment, on augmente la TVA ? Ce seront donc les ménages qui paieront." Prêt à tout pour obtenir une baisse des coûts du travail, "le Medef oublie les efforts consentis sur le Smic avec le CICE et le Pacte de responsabilité", affirme un spécialiste proche du dossier. Le Pacte prévoit pour 2015 l'exonération des cotisations patronales versées aux Ursaff jusqu'à 1,6 fois le Smic. A partir de 2016, les cotisations famille seront abaissées de 1,8 point pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic. A partir de 2017, avec le CICE, le coût du travail doit ainsi être allégé de 30 milliards d'euros. "C'est un effort historique, surtout dans une période de restrictions budgétaires", analyse cet observateur.
Pour lui, le Smic reste le meilleur outil de lutte contre l'émergence des travailleurs pauvres : "Il permet de limiter les dégâts". Il rappelle que toute une frange de salariés touche déjà moins que le Smic, dans l'apprentissage notamment : "25% des jeunes qui travaillent sont déjà payés sous le Smic." Le Medef semble donc prêt à faire profil bas pour cette fois :la piste du Smic est écartée dans son projet "1 million d'emplois". Mais il a pris au passage le pouls des partenaires sociaux. A la suite de la fuite du document polémique dans "Les Echos", les syndicats ont immédiatement remis les pendules à l'heure : "outrance pour Jean-Claude Mailly de FO, "provocation" selon Laurent Berger de la CFDT. Autrement dit, déroger au Smic, c'est niet.