Au fond, Patrick Buisson n'est pas un homme aussi curieux qu'on le croit. Il ne faisait pas partie des 9 millions de personnes qui ont regardé Nicolas Sarkozy annoncer son retour sur France 2, le dimanche 21 septembre. Mais très vite, on lui a rapporté les propos de l'ex-président à son égard. Une heure plus tard, il a visionné l'interview en replay sur internet.
Alors seulement, l'ancien conseiller officieux de Sarkozy à l'Elysée a entendu la fameuse phrase qui le concernait : "Des trahisons, dans ma vie, j'en ai connu beaucoup. Mais comme celle-là, jamais." Buisson trouve que Sarkozy a eu tort de prononcer cette phrase. Vraiment tort. "Ça ne m'a pas fait plaisir", remarque-t-il au téléphone, un après-midi de la fin septembre. Le ton est posé, calme. D'une voix égale, il ajoute, sibyllin : Il n'aurait pas dû dire ça." Pour lui, c'est évident : si Sarkozy a prononcé cette phrase à la télévision, c'est pour "décrédibiliser par avance les analyses que je pourrais faire par la suite, les jugements que je pourrais porter sur sa campagne". Buisson n'a pourtant pas attendu l'entrée en campagne de son ancien client pour se faire une idée.
Début septembre, il jugeait déjà que Nicolas Sarkozy "ce sybarite", était mal parti. Sybarite !... Buisson en est convaincu : comme les habitants de Sybaris, cette ville de la Grèce antique réputée corrompue et amollie par le luxe, l'ancien président n'aurait "psychologiquement plus envie de se battre. Il aimerait être élu et continuer la vie agréable qu'il mène actuellement". On ne l'attend pas dans le rôle du rempart contre le FN avec un discours centriste. Le centre, ce n'est pas son genre de beauté, ça ne marchera pas." Et même quand Sarkozy met la barre à droite, dans une interview au "Figaro magazine", deux semaines après son entrée en campagne, Buisson ne change pas d'avis. La mayonnaise ne prend pas. Il est seul. Y a plus de jus. Plus rien." Donc, "les choses sont maintenant claires : il sera mort politiquement avant de l'être judiciairement"...
Après la stupéfiante révélation, début mars, de ses curieuses méthodes de travail, Patrick Buisson avait jugé bon de se mettre au vert. Traqué par la presse jusque dans son repaire vendéen, il avait laissé son avocat reconnaître que, oui, il avait bien enregistré des dizaines de réunions à l'Elysée comme "documents de travail". Sans compter des conversations privées dont le site Atlantico avait publié quelques extraits. Condamné en juillet pour atteinte à la vie privée après la plainte du couple Sarkozy il avait alors disparu des écrans radars.
Depuis la fin de l'été, Patrick Buisson s'active de nouveau en coulisses. Invisible, mais pas muet. Il se répand en confidences très calculées dans Paris. Silencieux du genre bavard, l'ancien directeur de "Minute" a mis au point une riposte graduée à ce qu'il estime être "un rodéo contre sa personne". Car il n'accepte pas d'avoir été écarté par l'ancien chef de l'Etat. Il ne digère pas d'être désormais indésirable. A l'entendre, cette affaire d'enregistrements "n'a été qu'un prétexte pour habiller un changement de ligne politique", voilà tout. D'autant plus, selon lui, que Sarkozy, comme tout un chacun, "n'aime pas les gens à l'égard desquels il a une dette. Il ne supportait plus qu'on parle de 'ligne Buisson'". Conclusion : "C'est un assassinat politique."
Ce que ne dit pas Patrick Buisson, c'est qu'il y a d'autres raisons à sa colère. A la fin de l'été, il a été contraint de payer les 10.000 euros de dommages et intérêts qu'il devait à Carla Bruni-Sarkozy après sa condamnation le 3 juillet. Jusqu'au bout, il a espéré que cette dernière ne ferait pas exécuter la décision, mais l'ex-première dame s'est montrée inflexible. C'est alors qu'il a commencé à donner de ses nouvelles. Le 21 août, dans un article de "Paris Match" consacré à la nouvelle vie des "Bannis de la République", on apprend que, selon un de ses amis, il écrit "des centaines de pages sur l'Elysée, sur Sarkozy et sur la France", reclus dans sa maison des Sables-d'Olonne.
Début septembre, Buisson concentre ses tirs sur l'épouse de l'ancien président. Il n'a pas changé d'avis depuis l'Elysée : c'est une artiste gauche caviar, une bobo, politiquement nuisible à son mari. "On ne fait pas de campagne gagnante avec Carla et NKM."
Malgré le caractère tranché de ses jugements, il ménage encore Nicolas Sarkozy dont il se contente alors de critiquer la ligne politique. Buisson ne s'aventure pas sur d'autres terrains. Pour le moment en tout cas. Est-ce parce que l'ancien chef de l'Etat, contrairement à sa femme, n'a pas exigé le paiement de son dû ? S'il l'avait fait, Buisson aurait été obligé de s'acquitter de 10000 euros supplémentaires...
Contradictoire, il prédit que Hollande et Sarkozy vont couler tous les deux, car ils font système", Aujourd'hui, Patrick Buisson, proscrit de la sarkozie, partage son temps entre son domicile du 17e arrondissement, son bureau à la chaîne Histoire, dont il est le directeur général, et sa maison de Vendée. Jeudi 23 octobre, il présentait en avant-première "Si je mourais là-bas", son dernier film, qui retrace le rôle des écrivains engagés au front lors de la Première Guerre mondiale.