Drôle d'expérience que celle proposée par le webdocumentaire In Limbo, d'Antoine Viviani, sur le site d'Arte. Avant le visionnage du film de trente minutes aux images et au graphisme léchés, l'internaute est convié à renseigner son adresse électronique, à autoriser l'accès – uniquement le temps de sa connexion au webdoc – à ses comptes Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn, à se géolocaliser et à allumer sa webcam.
Une fois cette étape franchie, lecture. Et, très vite, un premier questionnement : la version numérique de nous-mêmes, avec ses capacités de stockage quasi illimitées, est-elle préférable à notre condition de mortel à la mémoire défaillante ? Pour les intervenants dont les visages, numérisés, sont transformés en lignes de code, la chose est entendue : Internet est la nouvelle religion. La preuve, des centres de données sont installés dans d'anciennes églises…
L'intelligence universelle, censée émerger des milliards de connexions liées aux activités de chacun d'entre nous, va nous aider à améliorer l'humanité. Voir à cet instant surgir ses propres données à l'écran comme si elles faisaient partie intégrante du film et illustraient ces propos radicaux, provoque un soudain vertige.
Ce malaise permet à l'internaute de percevoir les menaces pesant sur l'humanité connectée qu'il contribue à créer. Que la formule "in limbo" désigne à la fois les "données effacées d'un système, mais pas supprimées d'un support de stockage" et la "frontière des enfers" n'est pas un hasard…