Écrit par Jean-Pierre Dupuy
Jean-Pierre Dupuy,
philosophe des sciences, est professeur à l'Université de Stanford en Californie.
Ce texte est issu d'une communication au colloque « La légitimité démocratique en question », Programme Legicontest (ANR), Université Paris Descartes, Sorbonne, 18-19
octobre 2007.Juste un extrait pour avoir envie d'aller plus loin
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1. Le monde s'est rapproché de l'apocalypse de deux minutes
Le 17 janvier dernier, le physicien Stephen Hawking, le découvreur des trous noirs, et l'astronome royal Sir Martin Rees, qui occupe la chaire d'Isaac Newton à Cambridge, ont
avancé l'aiguille des minutes de l'horloge de l'apocalypse de deux minutes. Nous ne sommes plus qu'à cinq minutes de minuit, minuit signifiant conventionnellement le moment où
l'humanité se sera annihilée elle-même.
L'horloge de l'apocalypse (Doomsday clock) a été mise en place en 1947 par un groupe de physiciens atomiques qui, choqués par le largage des bombes sur Hiroshima et
Nagasaki, avaient lancé en 1945 une revue, qui existe toujours, de réflexion sur l'arme de destruction massive par excellence, le Bulletin of Atomic Scientists. En 1947,
ils fixèrent la grande aiguille à 7 minutes avant minuit. C'était le début de l'ère nucléaire. Depuis lors, l'aiguille a été avancée et retardée 17 fois. C'est en 1953, lorsque
l'Amérique et l'Union soviétique testèrent la bombe à hydrogène à neuf mois d'intervalle l'une de l'autre que l'aiguille se rapprocha le plus de minuit, à 2 minutes seulement.
Après l'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, elle s'éloigna à 17 minutes, pour revenir à 7 minutes de minuit en 2002, après les attentats terroristes
du 11 septembre 2001.
Nous sommes aujourd'hui à 5 minutes de minuit, plus près donc qu'en 1947. Les arguments avancés par les physiciens pour justifier leur sinistre pronostic méritent réflexion. Il y
a d'abord que nous sommes entrés dans un deuxième âge nucléaire, marqué par la prolifération et le terrorisme. Le tabou sur l'usage de la bombe qui s'établit après Hiroshima et
Nagasaki est en train de perdre de sa force, le temps et l'oubli faisant leur œuvre. Mais, pour la première fois dans l'histoire de l'horloge de l'apocalypse, un argument qui n'a
rien à voir avec la menace nucléaire est mis en avant: les risques liés au changement climatique.
Les plus grands scientifiques du moment reconnaissent donc que l'humanité peut recourir à deux types de méthode pour s'éliminer elle-même : la violence intestine, la guerre civile
à l'échelle mondiale, mais aussi la destruction du milieu nécessaire à sa survie. Ces deux moyens ne sont évidemment pas indépendants. Les premières manifestations tragiques du
réchauffement climatique, ce ne seront pas la montée des océans, les canicules, la fréquence des événements extrêmes, l'assèchement de régions entières, mais bien les conflits et
les guerres provoqués par les migrations massives que l'anticipation de ces événements provoquera. Les attendus du prix Nobel de la paix attribué conjointement à Al Gore et au
GIEC ont bien mis ce point en exergue.
A noter que les scientifiques mentionnent une autre menace qui pèse sur la survie de l'humanité : la course incontrôlée et déchaînée aux technologies avancées et à leur
convergence, en particulier la convergence entre les nanotechnologies et les biotechnologies.
L'un de ces savants conclut : "Les scientifiques ne devraient pas se dérober à leur devoir de se faire les porteurs de mauvaises nouvelles. Ils feraient preuve d'une négligence
coupable à se comporter autrement."
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