Une parmi 100 000 qui, cette nuit encore, aura refusé l’aide offerte par les maraudeurs, te seras tassée dans un mauvais duvet, collée à une grille d’aération, te prodiguant aléatoire chaleur et pollution certaine… Comment vas-tu ? Un parmi des dizaines de milliers, colmatant tant bien que mal ces foutus interstices, par lesquels sourd un vent glacial, dans ta caravane de fortune ? Dors-tu tout habillé, tes chaussures les plus chaudes aux pieds et ton bonnet sur la tête ? Comment vas-tu, le rebelle hôte de la forêt alors que la nuit le cède à la brume et que la rosée fait givre ? Comment vas-tu ? Un parmi tant d’autres, qui n’a plus que ta voiture pour toit. Travailleur pauvre, ainsi apparais-tu sur les lignes de statistiques. Homme ou femme en lutte, ainsi te considèrent ceux qui savent ton malheur. Comment vas-tu, un parmi le million et demi de retraités démunis ? Seul avec ton corps fatigué. Comment vas-tu ? Un parmi les 8 millions de pauvres que compte ce pays ? Comment vas-tu, ouvrier du petit jour, levé au cœur de la nuit froide, le front barré d’appréhension ? Comment vas-tu le forçat des marchés, prenant ton courage à deux mains, mais les doigts gourds, déchargeant cageots et déployant étal ? Comment vas-tu, banlieusard(e)? Ainsi te nomment les médias. Toi dans la foule, à l’assaut tôt ce matin, encore, tes emmerdes en bandoulière, balloté dans des trains hors d’âge, épuisé à peine parti. Comment vas-tu, toi qui vis dans le même pays, voire la même ville que moi ? Alors que point une nouvelle aube d’une pureté sèche et donc froide, penses-tu comme certains d’entre nous qui avons le chaud, le confort, le douillet, l’entre-soi, qu’on parle trop de ce maudit froid, parce qu’après tout, on est en hiver et qu’en hiver, bon sang, c’est normal qu’on grelotte ? Pour toi, cette pensée, cette minute. Chaleur humaine.
© Audrey Pulvar