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Le blog de Eric de Falco

Le blog de Eric de Falco

conseiller général du 1° canton de Rouen


Dialectique et réthorique

Publié par Eric de Falco sur 27 Avril 2012, 07:40am

Catégories : #les élections

Par Philippe-Joseph Salazar
Philosophe / rhétoricien

 

Nicolas Sarkozy voulait trois débats face à son adversaire socialiste. François Hollande n'en veut qu'un, il aura lieu le 2 mai prochain, même si les deux candidats seront aussi à "Des paroles et des actes" jeudi soir sans débattre entre eux. Quoiqu'il arrive François Hollande ne devrait pas se lancer dans ce rituel dépassé face au président sortant, selon Philippe Joseph-Salazar, rhétoricien et auteur de "Paroles de leaders".

 

"Nul n'a le droit de se dérober. Le moment crucial est venu, la confrontation des projets et le choix de la personne. Il s'agit de désigner celui qui aura la responsabilité du pays dans les 5 années à venir. Je mesure le poids et j'en connais les devoirs. Ces deux semaines qui viennent doivent permettre un choix dans la clarté. Je propose donc que trois débats soient organisés, économique et social, la sécurité et l'international."

Ouvrons les tiroirs :

1. "Nul n’a le droit" : ce qui veut exclure un refus.

2. "Le moment crucial", "projets", "personne" : ce qui veut exclure toute manœuvre dilatoire.

3. "Il s’agit", "responsabilité du pays" : ce qui veut exclure la Représentation nationale de cette responsabilité, c’est-à-dire le Parlement.

4."Je mesure" : ce qui exclut d’avance celui qui ne peut pas mesurer, faute d’être à la place de la mesure, bref celui qui n’est pas président.

5. "Je propose donc" : si on additionne 1 + 2 + 3 + 4, ça donne 5, à savoir que nulle personne qui veut exercer un pouvoir présenté, au mépris de l’esprit de la Constitution, comme suprême, ne peut échapper au moment crucial de la responsabilité absolue, y compris celui qui ne sait pas comment la mesurer. Donc il faut de la "clarté" c’est-à-dire, par une confrontation, montrer clairement si l’adversaire connaît le poids et les devoirs de cette responsabilité unique.

Jusqu’ici, c’est écrit comme sur du papier à musique et on reconnaît l’encrier où la plume a trempé ce montage, qui se veut imparable car c’est le défaut des "speechwriters" trop formés à la logique de l’argumentation, se parler dans un miroir, avec des boules Quies, en oubliant qu’il y a des gens qui se moquent des effets logiques.

6. Trois débats : trois thèmes, l’économique et social, la sécurité, l’international. Comme je ne suis pas commentateur politique je me contente de noter que les deux premiers termes ont des cibles d’auditoire, le thème un visant l’électorat centriste, le thème deux l’électorat droitier, tandis que le thème trois servira lui non pas à séduire un auditoire mais à démontrer la stature présidentielle. CQFD ? 

En rhétorique, on appelle cela une séquence composite de persuasion. Face à un auditoire hétérogène qu’il veut séduire un orateur peut choisir de traiter de deux ou trois thèmes en séquence afin de développer tour à tour des points de vue qui satisfont tel groupe, puis tel autre. Afin que tout le monde soit finalement content et ait le sentiment que l’orateur est d’accord avec son groupe – l’expérience montre qu’un groupe d’auditoire se focalise sur son sujet et a tendance à ne pas se souvenir du reste. Surtout si les points de vue, mis ensemble, à tête reposée, sont en conflit.

 

La stratégie consiste exactement en cela. Mais au lieu d’un discours en trois temps, on aurait trois débats sur des thèmes qui, à tête reposée, offriraient des "choix" contradictoires. C’est impeccable mais, comme je l’ai fait remarquer, le miroir et les boules Quies jouent des tours au narcissisme présidentiel. 

"Advocacy" vs opposition

François Hollande répond du tac au tac. Je cite l’argument de son refus : "C'est une tradition. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait en 2007 ? Comme il est en mauvaise posture, il veut changer la règle."

Décryptage rhétorique :

1. "C’est une tradition" : en argumentation on  appelle cela un "claim", une assertion d’évidence. Or tout "claim", pour être persuasif, doit être soutenu de preuves (les "garanties").

2. "2007" : première preuve, par la logique de l’attaque ad hominem (on prend l’argument de l’adversaire et on déduit la chose contraire : il propose trois débats mais comme il n’en voulut qu’un en 2007, je déduis donc vouloir en 2012 ce qu’il voulut en 2007).

3. "Mauvaise posture", "changer la règle" : deuxième preuve, par l’éthique (changer la règle pour changer le jeu).

Or, la réponse de François Hollande est une tautologie, qui se résume ainsi : c’est une tradition car... c’est la règle. Bref, un sophisme. Il faut voir que le débat du 2 mai a déjà commencé dans cet échange de vues sur la nature du débat. 

En technique de débat, la position de Nicolas Sarkozy est celle qu’on nomme "advocacy" et celle de François Hollande "opposition" (le vocabulaire de la profession est très marqué par la culture américaine de "public debate", le débat public). Quand un orateur est en position d’"advocacy" il doit construire un cas dit prima facie : bref, présenter son cas comme si "à première vue" cela allait de soi.

C’est ce qu’a fait Nicolas Sarkozy en visant cet électorat composite qu’il veut amener à lui et qui trouvera donc que l’assertion est, "à première vue", normale. Quand un orateur réplique, en "opposition", il est par contre contraint, puisque l’assertion "à première vue" a été faite, et souvent l’a pris de court, à avoir recours à une stratégie immédiate, un soin de premier secours – redéfinir le vocabulaire.

Respect ou dérobage ?

Ce que fait François Hollande en disant "tradition" et en n’allant pas plus loin que la tautologie, c’est la tradition car c’est la règle. Les positions sont donc rhétoriquement prises : Nicolas Sarkozy va accuser François Hollande de dérobade politique. François Hollande va parler de respect politique. Nicolas Sarkozy va dire que le candidat socialiste refuse de se battre. François Hollande va répliquer qu’il débat selon la règle républicaine. Tout cela va être décliné sur tous les tons. Dommage, si l’équipe de François Hollande avait fait mariné l’équipe Sarkozy les choses eussent été plus épicées.

Au fait qu’est-ce qu’une tradition rhétorique ? C’est une procédure imaginaire. Mis à part les règles formelles de prise de parole au Parlement et les dispositions explicitement prévues par la Constitution (comme celle, récente, qui permet au président de s’adresser aux deux assemblées), l’essentiel de ce qui fait la vivacité oratoire de nos institutions relève de traditions non écrites, très Ancien régime : message de nouvel an par le chef de l’Etat, conférence de presse à l’Elysée, débat présidentiel, tout cela existe mais sans autre code que "ça se fait".

Une "constitution rhétorique" dédouble la Constitution politique. Or ces traditions ont ceci de particulier qu’elles sont des rituels par lesquels l’exercice de la parole décisive, du pouvoir de la persuasion, se donne à voir – comme si, soudain, le voile du temple se déchirait et nous étions admis à voir et écouter comment se fabrique le pouvoir.

Un rite de passage

Mais ces rituels sont instables : De Gaulle inventa le rituel de la conférence de presse pour ancrer dans le public le lien organique entre le peuple et lui, dédoublant ainsi l’élection au suffrage direct par un rapport de vue et de voix. Les messages présidentiels, comme je l’ai bien montré dans mon livre "Hyperpolitique" (2009), sont l’acclimatation à la routine de la Ve République de l’Appel exceptionnel du 18 Juin.

Quant aux débats présidentiels, ils ne datent que de 1974, grande époque de la télévision, et sont réglés depuis 1981 (sélection des questions, plans de cadrage, choix des journalistes). Si comme le claironne le site vie-publique.fr, il s’agit là d’un “rite républicain” la question se pose : que commémore donc le rite ? Certainement pas la fondation du régime, puisque le débat comme genre rhétorique date, de fait, de 1981. Il ne commémore rien, sauf que c’est l’usage et que cet usage date.

Personnellement, si j’avais à donner un conseil à François Hollande, je refuserais de débattre avec Nicolas Sarkozy, pour le laisser seul face à ses miroirs divergents et aux difficultés qu’il aura à convaincre en même temps l’électorat frontiste et l’électorat centriste, je ne lui donnerais pas l’occasion de briller.

Je dirais que ce rite du débat est typique des années 1980, qu’il a fait son temps, qu’il est désuet et inutile.Je rajouterais que les électeurs, face à la crise, doivent se décider en raison, grâce à la masse d’informations dont ils disposent désormais, et loin d’être rendus accrocs à un reality show, écouter les message de campagne, lire la presse et faire ce travail de citoyen qui s’appelle s’instruire, et voter dans la sérénité. Une sorte de rigueur républicaine, loin des jeux de miroir des débats soi-disant "de tradition" ou auxquels "nul ne peut se dérober". Mais comme François Hollande a déjà nommé le débat comme règle et tradition, il devra s’y plier. Il risque de s’en repentir.

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