L’histoire de l’Europe depuis deux siècles nous enseigne que nous construisons et exerçons chacun notre citoyenneté comme un tout avec ses trois dimensions : démocratique (avec la façon dont on est écouté et entendu), économique (l’emploi surtout) et sociale (avec les politiques publiques permettant l’accès effectif aux droits fondamentaux).
Ce sont les problèmes rencontrés et l’expérience des solutions apportées qui consentent à juger de la légitimité des institutions, locales et nationales, européennes et globales. Là où le vote n’est pas obligatoire, l’évolution des taux de participation d’une élection à l’autre donne une indication de cette légitimité. La construction européenne autour de la seule dimension économique et monétaire révèle crûment son absence de réalité en temps de crise. Dans ce contexte, l’art de gouverner consiste à mettre en place des politiques publiques, sociale et démocratique qui permettent aux résidents un avenir partagé dans l’espace économique unifié. La légitimité des institutions et l’intériorisation par chacun d’être citoyen dans cet espace impliquent que les trois dimensions de la citoyenneté y aient toute leur place.
Les dimensions sociale et démocratique ne sont pas régies dans le même espace que la dimension économique. Les politiques publiques sont presque totalement renvoyées à l’espace national, sans pouvoir s’appuyer sur une redistribution significative des richesses produites dans l’ensemble de l’Union.
Pour les résidents, les institutions européennes sont celles qui prennent des décisions économiques et monétaires par lesquelles surgissent les problèmes qu’ils rencontrent. Quant aux institutions nationales et locales, ce sont celles dont on attend les éventuelles politiques publiques rectificatives d’accompagnement. Le renvoi à l’espace national des attentes en terme social et démocratique pendant que les politiques économiques s’appliquent à l’échelle européenne signifie que les pays les plus riches décident avec leurs moyens, et que les pays les plus pauvres subissent avec les leurs. Ainsi, les règles actuelles gouvernant l’espace économique unifié ne permettent aux pays en difficulté de réagir, pour l’essentiel, qu’au travers d’un dumping fiscal et social. Lorsque les déséquilibres économiques durent depuis déjà une décade, les problèmes d’apurement du passé s’ajoutent à ceux, récurrents, de dégradation de la compétitivité.
Comment construire une citoyenneté européenne partagée dans ce cadre ? Conscients des dégâts produits par la gestion de la crise telle qu’elle a été décidée et mise en œuvre ces derniers temps, plusieurs dirigeants en Europe proposent de relégitimer les institutions européennes par des propositions sur leur fonctionnement (président de la Commission issu de la majorité du Parlement européen, par exemple). Le pilier social de la citoyenneté n’est ni mentionné ni traité, mais ignoré.
La citoyenneté européenne nécessite une cohérence entre les trois dimensions : démocratique, économique et sociale. Les différents niveaux institutionnels ne seront légitimes que si les citoyens perçoivent comment ils contribuent à assurer leur pleine citoyenneté.
Lorsqu’on refuse la dimension sociale, il ne faut pas s’étonner que les citoyens cherchent à traiter cette question au niveau national et, au vu des difficultés, de plus en plus au niveau infranational, les territoires se sentant plus riches ne voulant plus partager avec les territoires moins fortunés. Il ne faut pas davantage s’étonner que de question nationale, elle devienne une question nationaliste minée par la tentation xénophobe. Le découplage entre les trois dimensions de la citoyenneté ne se traduit pas seulement par la dé-légitimisation de la citoyenneté européenne, mais par celle de tous les niveaux institutionnels. Il délégitime tout le projet européen qui s’est construit autour de la belle idée d’avenir partagé et de solidarité.
Il est urgent que les responsables politiques, européens, nationaux, locaux, réagissent en mettant leurs propositions en conformité avec les valeurs et les objectifs que les textes fondateurs proclament ! Le mot social n’est pas davantage un «gros mot» que «économique» ou «démocratique». Les politiques publiques européennes doivent assurer les moyens de l’accès aux droits fondamentaux pour tous les résidents en Europe. C’est la base d’une citoyenneté européenne à construire.