Les interventions de Laurent Fabius nous appellent toujours à avoir un éclairage nouveau sur le sproblèmes les plus brûlants de l'actualité. Il réagit à la dérive de l'action du gouvernement de la France par Sarkozy dans un entretien au Monde paru ce week-end.
L'Eglise s'est indignée et Martine Aubry n'aurait-elle pas dû s'exprimer plus tôt sur l'offensive sécuritaire de Nicolas Sarkozy ?
Laurent Fabius : Evitons d'appeler "sécuritaire" cette action. Pour 90% des Français, ce terme signifie "qui apporte de la sécurité". Or, depuis 2002, où il a choisi d'en faire son thème central avec une pléthore de lois et de discours scénarisés, M. Sarkozy n'a pas apporté de progrès en matière de sécurité.
Au contraire, l'insécurité est, politiquement, sa rente viagère. Ce n'est donc pas une politique "sécuritaire", c'est une politique incendiaire.
Au lieu d'agir efficacement, les ministres polémiquent et s'en prennent systématiquement aux autres : aux maires, aux étrangers, à la crise, aux bien-pensants, à Saint-Germain-des-Prés. Ne manque plus dans leurs propos que Léon Blum et sa vaisselle d'or.
Est-ce pour ne pas entrer dans cette surenchère que la gauche est restée discrète ?
Nous avons réagi comme il faut, sans tomber dans la surenchère. Les mouvements spirituels ont dit – avec raison – leur indignation devant les amalgames honteux. Le fond de la question, c'est qu'avec M.Sarkozy, dans ce domaine comme dans d'autres, nous avons affaire à une présidence gesticulatoire.
Ses prédécesseurs n'avaient pas tous des pratiques jansénistes, mais chacun, dans au moins un domaine essentiel, a réalisé des avancées : de Gaulle et le rayonnement de la France, Pompidou et l'industrie, Giscard et la modernité, Mitterrand et l'Europe, Chirac et l'héritage républicain. Avec l'actuel titulaire, on cherche en vain les grandes avancées. On constate des gesticulations et des reculs.
Pourquoi la gauche continue-t-elle à souffrir d'un déficit de crédibilité sur cette question de la sécurité ?
Parce que ces gesticulations électoralistes ne sont pas sans effets. Elles ont enfoncé chez beaucoup l'idée fausse que la gauche était du côté des délinquants et pas des victimes. L'imbécillité d'une telle imputation la dispute à la mauvaise foi. Je m'exprime avec l'expérience de quelqu'un qui a dirigé le gouvernement et exercé toute la gamme des responsabilités locales. Il n'y a pas un élu – socialiste ou non – qui ne se préoccupe pas activement de la sécurité.
Que constatons-nous ? Dix mille forces de police et de gendarmerie en moins depuis ces dernières années et 3 000 suppressions en préparation. La priorité est de remettre sur le terrain des forces et de rendre plus efficace la chaîne prévention-dissuasion-intégration-sanction-réparation.
On note une évolution paradoxale de l'opinion : l'envie de gauche progresse mais une majorité de Français continuent de penser qu'elle ne ferait pas mieux que la droite. Comment résoudre ce problème de crédibilité ?
En préparant sérieusement l'alternance, avec critiques argumentées et propositions pertinentes. Je reviens à cette "présidence gesticulatoire". Compte tenu de sa fonction éminente – et c'est peut-être le plus grave –, la décrédibilisation de M. Sarkozy ne le touche pas seulement lui, elle est contagieuse.
Comment inverser l'opinion ?
En démontant les mécanismes et en contre-proposant. La gesticulation sarkozyste, c'est à la fois une aptitude, une habitude et une habileté. Comme un joueur de casino qui double la mise pour se refaire, M.Sarkozy veut aller toujours plus loin dans les fausses promesses, en espérant qu'on oubliera les vrais résultats.
La gauche doit déconstruire ce système et assortir ses critiques légitimes de propositions sérieuses. C'est toute la question de notre projet, qui doit reposer sur le triangle fondamental: effort-progrès-justice. Le monde est dur, l'Europe perd du terrain, la France se retrouve à l'issue de ce quinquennat dans une situation, notamment financière, calamiteuse. Il n'y aura pas de redressement sans effort. Cet effort sera important. Il prendra du temps. Il concernera tous les domaines. Cela, il faut que la gauche le dise.
Mais, simultanément, nous devons réhabiliter la notion de progrès. Les Français sont plus pessimistes que leurs voisins, ils ne croient plus guère en la possibilité de progresser collectivement. Il nous faut donc réintroduire des objectifs et des moyens progressistes, sur l'éducation, l'industrie, la vie au travail, l'environnement, la santé, le logement.
Et tout cela avec un souci transversal de justice : justice fiscale, justice territoriale, justice tout court. Si ce triptyque effort-progrès-justice est décliné avec sérieux et unité, la gauche l'emportera.
Vous prônez un PS sérieux. En tant qu'ancien premier ministre, est-il sérieux de dire qu'on ne doit pas toucher à la retraite à 60 ans ?
Evitons les caricatures. Le PS a pris le temps et le soin de bâtir après concertation un projet complet de réforme des retraites. Ce projet est incontestablement plus juste que celui de la droite et il est aussi plus sérieux, car, rééquilibrant la contribution des salariés et celle du capital, il est financé contrairement à MM. Sarkozy et Fillon.
Pour nous, la retraite à 60 ans est une sorte de bouclier pour les personnes les plus modestes ayant commencé à travailler tôt, mais nous disons aussi que la plupart des salariés verront, avec le temps, l'âge effectif de la retraite augmenter, et nous actons l'allongement de la durée de cotisations.
60 ans n'est pas un dogme?
Non, c'est une garantie.
Si la gauche gagne en 2012, rétablira-t-elle la retraite à 60 ans ?
Si le gouvernement impose son texte malgré ses défauts graves, il faudra y revenir, car il n'est pas bouclé financièrement.