La publication de l'ouvrage de Claude Allègre a suscité de vives réactions de part et d'autres. Fait remarquable, toutes en ont appelé au citoyen, ses droits, etc., mais aucune ne s'est souciée de savoir si le citoyen avait la possibilité de s'exprimer et de décider de manière informée et circonstanciée
Les défenseurs d'une certaine éthique de la science sont les premiers à ne pas en respecter les fondamentaux. Leur propos n'est pas de parler de science du climat mais d'influencer la décision publique, position clairement revendiquée par Claude Allègre. Les faits sont instrumentalisés pour défendre des valeurs. Ainsi Henri Atlan pose qu'"il vaut mieux s'attaquer aux problèmes d'environnements locaux, pollution atmosphérique des grandes villes, pollution des mers et des rivières par le surcroît de déchets dû à la surpopulation". La métaphore du "guide de montagne" utilisée par Jean-Charles Hourcade est parlante : le scientifique montre le chemin à suivre, le quidam n'a d'autre choix que de suivre docilement. Aucun d'entre eux n'a respecté cette éthique qui devrait les conduire à… laisser le choix des risques et des priorités, notamment énergétiques, au citoyen . Ce que ces "experts du climat" se disputent, c'est la décision publique. Et cela, en utilisant leur autorité scientifique.
LE CITOYEN ORDINAIRE DOIT ÊTRE REPLACÉ AU CENTRE DES DÉBATS
L'éthique scientifique voudrait au contraire que les scientifiques s'en tiennent d'abord aux faits, tous les faits mais rien que les faits, le savoir qu'ils en tirent dépendant de leur propre vision du monde. Le débat sur les priorités, sur les valeurs devrait être soigneusement séparé, sur un plan institutionnel. Il n'est pas acceptable que les mêmes personnes s'expriment sur un sujet et sur l'autre sans changer de casquette, laissant croire que la question des priorités peut aussi être tranchée de manière scientifique. Que ceci se produise montre à quel point notre démocratie est mal en point.
De la représentation, qui ne se saisit pas du dossier, jusqu'aux corps intermédiaires qui, tels l'Ademe, n'informent le citoyen que dans la mesure où cela ne dérange pas les intérêts bureaucratiques de l'Etat et de ses champions industriels, tout concourt à mettre le citoyen en situation de subalterne : tout le monde parle en son nom mais personne ne se soucie de connaître son avis.
Nous pensons au contraire que le citoyen ordinaire, celui qui n'a pas d'autorité scientifique ni aucun intérêt direct à une position ou à une autre, doit être replacé au centre des débats. Les médias devraient aborder des questions telles que la critique des procédures d'expertise et de décision collective. Sans ce pas de côté, le citoyen continuera d'être posé en spectateur d'un match dont l'enjeu est pourtant de décider de son avenir. Les politiques scientifiques et techniques, et tous les choix de société qu'elles impliquent, continueront de se faire sans lui.
La complexité de l'enjeu est un faux problème. Une affaire criminelle n'est pas moins complexe, la décision finale revient pourtant à un jury populaire composé de non-spécialistes tirés au sort. Le tirage au sort est une procédure qui devrait être remise au goût du jour. L'exemple de la conférence de citoyens organisée sur "Changements climatiques et citoyenneté" par la Commission française du développement durable en 2002 l'a bien montré. Les citoyens ont parfaitement compris les enjeux et ils ont été capables de faire des recommandations dont la cohérence vaut bien celle de nos experts officiels. A la différence de ces derniers, toutefois, leur avis a été ostensiblement ignoré par les médias.
La procédure utilisée lors de la conférence de citoyens ne permet pas de déterminer les faits mais de les évaluer, et d'en tirer des propositions raisonnables en tenant compte des contradictions scientifiques comme des contraintes sociales. Elle ne peut remplacer la représentation nationale qui décide in fine, mais peut influencer les choix qui sont faits par chaque citoyen dans son quotidien. En effet, les propositions d'un tel jury, informé et dénué de conflits d'intérêts, sont éminemment crédibles pour toute la population et constituent une aide pour les choix individuels autant que pour les choix politiques. Il est urgent de se saisir des propositions qui sont faites, pour légaliser cette procédure.