On peut se dire au-revoir plusieurs fois

Publié par Eric de Falco sur 21 Juin 2011, 05:38am

Ce texte est extrait du dernier livre de David Servan-shreiber. Il est tellement bouleversant et si profond que j'ai tenu à vous le faire partager. Je siège ce jour à la séance d'installation de la Conféence nationale de santé et j'aurai ce texte présent à l'esprit tout au long de cette journée.

« Depuis quelques semaines, je ne peux plus taper à deux mains sur un clavier et j’ai beaucoup de peine à marcher. Je suis souvent fatigué. La lecture est de nouveau devenue difficile. Comme je perds la voix, je parle très bas, comme quand on chuchote à l’oreille de quelqu’un. Je m’économise, conscient que j’aurai besoin de toutes mes forces pour remonter la pente.

Cette année est l’année de mes cinquante ans. Avec l’aide de mes frères, j’ai donné une fête un soir d’avril baigné de la douceur du printemps parisien. J’y ai convié tous ceux que j’aime. Certains de mes amis étaient au courant de mon état, d’autres moins. Je voulais être celui qui leur annoncerait la nouvelle et nommerait les choses.

J’ai beaucoup réfléchi au petit speech que j’allais faire. Fallait-il mettre les points sur les i, citer des termes techniques et des statistiques ? Ou bien valait-il mieux rester dans le flou.

J’ai opté pour la franchise. D’abord parce que le tournant pris par ma maladie se manifeste par des signes évidents : la voix qui faiblit, la jambe et la main gauche qui flanchent. Mais aussi parce que, pour cet anniversaire qui sera peut-être le dernier que je passerai en la compagnie de mes amis, je voulais dialoguer avec eux à cœur ouvert. Comme disent les Américains, quand il y a un éléphant dans la pièce, il ne faut pas faire semblant de ne pas le voir. Il faut en parler, l’appeler par son nom.

(…) Depuis la rechute de mon cancer en juin 2010, j’ai subi trois opérations, une radiothérapie, deux protocoles de vaccin et un traitement antiangiogénique. La forme sous laquelle est revenue cette tumeur est beaucoup plus agressive que celle avec laquelle j’ai vécu pendant dix-huit ans. Il s’agit d’un glioblastome de stade IV, dont les pronostics sont parmi les plus mauvais de tous les cancers, avec une médiane de survie de quinze mois. Cela signifie que la moitié des personnes atteintes de cette tumeur vivent moins de quinze mois après le diagnostic, et l’autre moitié plus de quinze mois. En cas de rechute, les chances de survivre au-delà de dix-huit mois sont quasi nulles (…)

Mes frères, mes amis me demandent parfois si, l’été dernier, je n’ai pas ressenti du découragement devant cette maladie qui s’acharnait, devant la nécessité de me faire opérer de nouveau. Une chimio peut-être. N’ai-je pas eu au moins fugacement envie de renoncer ? Je leur réponds sans hésiter : « pas du tout ». Ce n’est pas de l’héroïsme de ma part. (…)

J’ai reçu comme un don du ciel l’appui de mes proches. C’est une chance immense d’appartenir à une famille nombreuse (…). Durant mon séjour à l’hôpital de Cologne, mes frères se sont ainsi relayés pour ne pas me laisser seul. Chaque soir, l’un d’entre eux dormait près de moi, dans un lit de camp, plus bas.

Sacha, mon fils de quinze ans est venu aussi. Je ne le vois pas souvent, car il vit aux Etats-Unis(…)

Nous nous parlions bien sûr tous les jours au téléphone, et je sentais qu’il était très inquiet. Pas seulement pour ma santé, mais aussi, de façon plus souterraine, parce qu’il craignait que la maladie m’ait trop transformé. Le premier soir, nous avons passé un bon moment ensemble. Comme il partageait la même chambre que ma mère, il lui a fait cette confidence touchante :

« Tu sais, je me sens beaucoup mieux maintenant, parce que c’est toujours le même papa. Il n’a pas changé ! »

Référence bibliographique :

Extraits de On peut se dire au-revoir plusieurs fois

de David Servan-Schreiber

Editions Robert Laffont

Paru le 9 juin 2011

débat sur la récidive

inquiétudes réjouissantes

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