Il s'agit de "s’assurer que le secteur financier contribue de manière équitable et substantielle aux finances publiques", selon les termes de la Commission européenne, alors que 1 600 milliards d'euros d'aides publiques, soit 13 % du PIB de l'Union européenne, ont été versés à des établissements financiers entre le 1er octobre 2008 et fin 2011.
Les Etats appelaient à l'unisson à plus de régulation, les banques ne contestaient pas. De cette apparente volonté de réforme était né un accord de principe, en discussion à Bruxelles depuis le mois de février. Ce futur impôt devait rendre effectives, non pas une, mais plusieurs taxes sur toutes les transactions boursières. Taxe également appelée "Robin des Bois" ou Tobin, du nom de l'économiste qui l'a imaginée dans les années 1970.
Mais les lobbies ont travaillé d’arrache-pied et il faudra désormais compter avec les responsables des gouvernements actuellement en place, notamment le ministre de l'économie français, Pierre Moscovici et des gouverneurs de banques centrales (dont celui de la Banque centrale européenne, Mario Draghi) ayant déjà manifesté leur volonté de limiter les ardeurs de l'exécutif européen.
A la fin du mois de mai, un responsable proche des négociations avait confié à Reuters que les pays européens envisageaient déjà de réduire radicalement la portée de cette taxe, avec notamment un taux qui serait divisé par dix par rapport au projet initial.
Selon les calculs des hauts fonctionnaires de Bruxelles, la taxe sur les transactions financières permettrait de lever 30 à 35 milliards d'euros par an. Mais ce calcul se base sur une taxe de 0,1 % sur la valeur des transactions boursières concernées pour les actions et les obligations (qui représentent environ un tiers du revenu espéré). Si elle devait être ramenée, pour l'ensemble des transactions, à 0,01 %, le produit se situerait plus probablement vers 20 milliards d’euros.
Appliquée dans sa version d'origine, la TTF rapporterait, selon les calculs de l'ONG Oxfam, pas loin de 37 milliards d'euros. Bien moins pour le Medef, la Fédération bancaire française (FBF), Paris Europlace, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), l'Association française de gestion (AFG) et l'Association française des marchés financiers (Amafi), qui ont écrit en avril à Bercy pour lui signifier que "la rentabilité de la plupart de ces opérations se situent bien en deçà du coût de la taxe qui leur serait appliquée".
"Sa mise en oeuvre rencontre de nombreux obstacles et de nombreuses questions", a reconnu le ministre Pierre Moscovici, qui a du coup tranché en faveur du secteur financier, proposant de mener "un travail d'amélioration de la proposition de la Commission pour mettre en oeuvre une taxe qui ne nuise pas au financement de l'économie".
Forte objection que font valoir les "anti" TTF : le fait que la taxe s'applique aux produits dérivés. Comme ils sont utilisés par les entreprises pour couvrir différents risques, leur taxation réduirait la compétitivité des entreprises, affirment en choeur les lobbies financiers.
"Une économie dans laquelle les investissements sont rendus plus difficiles est une économie qui ralentit", résume la Fédération bancaire française. Faux, rétorque la Commission, qui y consacre une longue explication dans un "questions-réponses" publié uniquement en anglais : la taxation ne concernera pas les industriels, ni les PME ni les particuliers mais les acteurs "commerciaux", ceux qui "parient" à la hausse ou à la baisse sur la valeur d'un bien et veulent se protéger d'un éventuel pari malheureux. Soit 80 à 90 % des transactions, qui sont opérées uniquement entre banquiers et traders.
Selon les calculs de l'ONG Oxfam, taxer les produits dérivés pourrait rapporter 24,47 milliards d'euros. Problème, les grandes banques (notamment françaises) qui ont investi sur ce marché refusent aujourd'hui de rétropédaler et de renoncer aux faramineux profits que ces produits génèrent.
Les transactions très rapides ne seront pas concernées tant que les annulations d'ordre restent sous un certain seuil (90 % dans la TTF française). Evidemment, pour être rentable, le trading algorithmique ou trading à haute fréquence (THF) doit émettre et annuler un très grand nombre d'ordres en un minimum de temps, grappillant quelques centimes à chaque transaction réussie.
La TTF, telle qu'envisagée par la Commission, s'attaque précisément à ce qu'elle considère comme une dérive du système financier : elle viserait la spéculation en taxant "à l'aller" et "au retour", c'est-à-dire à l'achat et à la vente.
Là aussi, le "business model" du système est en jeu, les nombreuses transactions générant des frais de courtage qui seraient encore alourdis par la taxe et répercutés sur le client. "Le but n'était pas d'éliminer le trading haute fréquence mais, de fait, il n'y a aucune valeur ajoutée à ce type d'activité pour l'économie réelle ni même pour la finance", explique un fonctionnaire de Bruxelles, ce qui ne laisse pas de susciter, reconnaît-il, un lobbying "féroce"...
Dans cette discussion, le lobbying des Etats porte aussi sur la répartition des revenus de la taxe : selon un haut fonctionnaire européen, l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Autriche seraient très intéressés par la prééminence du principe de résidence (qui impliquerait un partage plus égalitaire), tandis que la France et l'Allemagne, pays émetteurs de produits financiers, penchent davantage en faveur de la répartition suivant le principe du pays d'émission.
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