Ce n’était ni un immense penseur, ni un philosophe, ni un mandarin de la science ou de la médecine. Il se définissait lui-même doublement comme un scientifique et un humain pourvu d’affect. La tête et le cœur, l’intellect et l’émotion, c’est ce qui fait tout le prix du message qu’il a transmis dans ses trois livres.
Scientifique, il l’était avant tout, passant chacune de ses opinions, chacune de ses affirmations au tamis serré des études les plus sérieuses, les plus indiscutables, qu’il allait chercher à la source, dans les revues scientifiques les plus exigeantes.
Le cœur, l’importance cruciale des liens émotionnels, a été pour David une découverte assez tardive. Il avait été élevé plutôt "pour faire de grandes choses" et "réaliser un destin hors du commun". Son père, Jean-Jacques, fondateur de l’Express, élu et éphémère ministre sous Giscard, le destinait à une carrière publique.
Dans "Anticancer", David raconte le poids que ces espoirs démesurés ont fait peser sur ses épaules durant toute son enfance et sa jeunesse. Et le soulagement qui l’a saisi quand, à l’âge de 31 ans, il a découvert – par un hasard inouï – la tumeur qui rongeait son cerveau. La menace gravissime qui faisait irruption dans sa vie le sauvait paradoxalement du carcan de la "mission" imposée. Elle le replaçait sur son propre terrain, face à sa propre logique, le sommait de faire ses propres choix, de tracer sa propre trajectoire. menacée.
C’est une des raisons pour lesquelles, bien que combattant le cancer avec la plus extrême détermination, David n’a jamais manifesté de la haine ni de la colère contre le sort qui le faisait basculer définitivement dans le camp des malades.
Il avait choisi un secteur en flèche de la recherche fondamentale : les neurosciences. Et au sein de ce secteur, un sujet encore plus pointu : la modélisation informatique des réseaux neuronaux.
C’est grâce au cancer qu’il est réellement devenu un médecin, après avoir été un scientifique pur. Il a été capable d’un échange réel avec ses patients, d’une connivence profonde fondée sur la communauté dans l’épreuve. Il est alors devenu un thérapeute exceptionnel, un de ces médecins qui ont le don d’enclencher un processus de guérison par leur seule présence et la simple attention qu’ils portent à leur patient.
Cette découverte du lien profond avec le "tout un chacun" des malades qu’il devait soigner dans son hôpital général à Pittsburgh a constitué pour lui un magnifique saut dans le domaine peu exploré de l’émotionnel. "Guérir" et "Anticancer" sont issus, plusieurs années plus tard, de cette découverte. Dans le même temps, il s’est passionné pour les médecines dites "complémentaires" qui commençaient à peine à être explorées aux Etats-Unis. "Complémentaires" s’entend vis à vis de la médecine "dominante", que ces méthodes n’entendent pas remplacer, mais compléter, en redonnant une place à des approches négligées ou oubliées : le continent fascinant des gymnastiques dites "douces" – yoga, taïchi, qigong, etc. –, la méditation héritée de pratiques orientales, les massages, des exercices plus "modernes", comme la cohérence cardiaque, voire des rituels de guérison inspirés des pratiques shamanistiques ou amérindiennes.
Ces approches sont aujourd’hui mieux connues, et les études existantes confirment leur valeur dans le traitement des souffrances psychiques. Il a fallu un courage et une ténacité rares au jeune médecin qu’était David pour convaincre sa hiérarchie de l’intérêt d’ouvrir le premier centre hospitalier consacré à ces approches nouvelles.
Le corps, donc, et son extraordinaire capital de guérison, ne quittera plus son champ de pensée. Il avait jusqu’alors un rapport assez "spartiate" au corps, voire "militaire", comme il raconte avec tendresse et humour dans son dernier livre. Une conception et des pratiques inculquées par son père, lui-même mémorable trompe-la-mort.
En tant que médecin, David ne connaissait que trop le prix de tout ce qui peut sauver les mourants de l’angoisse. Il pensait avoir des connaissances, tirées de sa longue pratique médicale, sur cette question difficile. Fidèle à ses choix ("contribuer", "créer du lien", "donner du sens", "partager ce qui a du prix"), il a voulu partager ces idées avec le plus grand nombre. Et bien que sa santé soit déjà très compromise, il a choisi de consacrer le plus clair de ses dernières forces à mettre en forme cet ultime message. David, l’être rare qui voulait créer du lien, jusqu’au dernier souffle.