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Le blog de Eric de Falco

Le blog de Eric de Falco

conseiller général du 1° canton de Rouen


Le génie français de la distillation fractionnée a encore frappé

Publié par Eric de Falco sur 8 Janvier 2014, 08:06am

Loriane Lafont, (jeune étudiante auteure d’un livre récemment paru ) qui a récemment intégré Normale Sup, est extrêmement irritée car on a décidé, via un nouveau concours, de mélanger des littéraires avec des futurs managers. C’est-à-dire d’ouvrir les écoles de commerce à des élèves issus de la section Lettres. "Ils seront comme des poissons d’eau douce égarés dans une eau saumâtre" se désespère-t-elle. Les étudiants creusent maintenant leur propre tombe….

L’affaire débute avec une réforme mise en place voici cinq ans par Valérie Pécresse. L’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur, constatant que moins de 5 % des élèves de Khâgne (classe de préparation aux concours des Ecoles normales supérieures) parvenaient à se caser dans des grandes écoles littéraires, proposa qu’ils puissent également postuler l’entrée dans les Sciences-Po et les grandes écoles de management.

Ces dernières étaient très ouvertes à l’idée, car, à juste titre, on taxe régulièrement les meilleures d’entre elles d’avoir des profils peu diversifiés. Par exemple 74 % des admis en première année d’HEC sont des matheux issus de la filière S - 66 % à l’Essec. Or, le management est tout sauf une science exacte. Cela repose en grande partie sur l’art de construire et d’animer des équipes. Les qualités humaines y sont primordiales, et l’apport d’élèves aimant les lettres et sciences humaines y est surement bénéfique.

C’est en tous cas ainsi que les Britanniques voient les choses : comme nous l’avions raconté ici, les diplômés en littérature ou en histoire sont très prisés par les recruteurs d’outre-Manche. Michel-Edouard Leclerc a un bac littéraire, c’est sans doute ce qui l’a amené à créer des espaces culturels en grande surface et à soutenir le festival de la BD d’Angoulême.

 Loriane Lafont, après deux ans de prépa dans l'un des temples parisiens des élites, le lycée Henri-IV, (où les élèves passaient, dit-elle, leur temps en classe sur Facebook), a intégré Normale Sup Ulm. Il est important de préciser Ulm. Car notre brillante littéraire (dont l’écriture est pourtant souvent lourde, quand elle parle d’écoles, elle dit "endroits") s’insurge contre le fait que, pour faciliter la réforme voulue par Valérie Pécresse, on ait créé des épreuves communes à Normale Sup Paris et à Normale Sup Lyon.

Au-delà de cette réforme du concours d’Ulm, ce qui bouleverse Loriane Lafont, c’est qu’on ait créé une « BEL », qui veut dire « Banque d’épreuves littéraires » (à aucun moment elle n’explique l’acronyme),  un concours permettant aux élèves de Khâgne de postuler pour les Instituts de sciences politiques et toute une série de grandes écoles de commerce. Précisons que 95,5 % des préparationnaires présentant les concours des Ecoles normales supérieures sont recalés. Il n’est pas indifférent de leur proposer des choix alternatifs à la reconversion à l’université.

Nos Élites républicaines vont mourir de cette consanguinité, tant en filières littéraires qu’en filières scientifiques. Les grandes entreprises françaises qui cultivent allègrement ce mode de recrutement perdent ainsi la richesse créative de la diversité. Si vous n’avez pas fait X, pas d’avenir chez Safran. Si vous n’avez pas fait Centrale, pas d’avenir chez PSA et rien chez Airbus si vous n’êtes pas passés chez Supaéro, rien n’est possible chez Airbus !

Les britanniques décidemment pragmatiques cherchent plutôt la diversité la plus riche et recrutent les jeunes ingénieurs par exemple à l’INSA. Rolls Royce est ainsi devenu leader mondial des réacteurs qui équipent Airbus…..

 Mais pour Loriane Lafont, "l’idée est que les littéraires doivent servir à quelque chose. Or les services qu’ils peuvent rendre ne sont pas d’ordre économique". Voici donc bien pourquoi il faut faire de la distillation fractionnée : les littéraires ne peuvent pas être utiles à l’économie. On frémit devant une telle vision, typique de la mentalité de pré carré qui découle des séparations disciplinaires du système français.

Plus fascinante est la partie où notre brillante Normalienne raconte en détail ses émois de khâgneuse à "H-IV", confessant que dans cette prépa elle n’avait plus eu "aucune vie sociale", n’hésitant pas à balancer "cette native de Saumur qui a eu le concours et m’a rendu la vie impossible". Sa description de la bagarre pour être dans la meilleure khâgne est glaçante. Il y a la K1, "une deux-chevaux", et la K2, "une Ferrari", qu’elle est parvenue à intégrer : "Une véritable guerre des K se joue entre deux salles, distantes de quelques mètres à peine. Dans khâgne il y a un K comme dans Kalachnikov : nous, dans la K2, on est tous armés, et on sait qu’on va faire un carnage au concours". Admirons la délicatesse humaniste de cette tirade, et étonnons-nous qu’avec une telle rage de compétition, cette littéraire ait du mépris pour les écoles de commerce…

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