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Le blog de Eric de Falco

Le blog de Eric de Falco

conseiller général du 1° canton de Rouen


Toujours plus fort, plus beau, plus cher!

Publié par Eric de Falco sur 10 Juin 2014, 05:53am

L'ex-candidat Sarkozy ne voulait connaître aucune limite. Il décidait et d'autres payaient les factures. A l'insu de son plein gré ? Marseille, 19 février 2012. Nicolas Sarkozy achève son premier grand meeting, top départ d'une campagne qui se veut éclair. Il s'est déclaré quatre jours plus tôt, à la télévision. Fébrile, impopulaire, contesté dans sa personne et son bilan, le voilà conforté par les milliers de militants réunis au parc Chanot.

Un Falcon 900 le ramène le soir même vers Paris. A bord du jet de 14 places loué pour toute la durée de la campagne, le président de la République et Carla Bruni ont convié un autre couple, le patron de l'UMP Jean-François Copé et son épouse, Nadia. Délicate attention à l'égard de celui à qui Nicolas Sarkozy avait confié avec réticence les rênes du parti et qu'il charge alors de mettre la machine UMP au service de sa réélection.

Mais, en coulisses, l'ambiance ne va pas tarder à virer à l'aigre. Dès le lendemain matin, lors de la séance de debriefing, Franck Louvrier, le conseiller com du président, et son directeur de campagne Guillaume Lambert, découvrent la note astronomique du meeting de la veille : jusqu'à 900.000 euros selon certaines sources ! Ecrans vidéo, loge du candidat avec isolation phonique, générateur électrique de rechange, images réalisées par le parti et fournies aux chaînes d'info... Tout a été fait en grand, en très grand par Bygmalion, l'agence choisie par l'UMP pour les meetings. Et le tarif est élevé, trop élevé.

Louvrier et Lambert avertissent Jérôme Lavrilleux, le bras droit de Copé promu responsable de la logistique dans l'équipe de Sarkozy : On ne tiendra pas la campagne, il faut baisser les coûts." Et pas question de laisser tous les marchés à cette seule et même agence, plus connue pour être celle des amis du député-maire de Meaux que pour son expérience dans l'organisation d'aussi grands événements. Pendant quarante-huit heures, la discussion est tendue. Louvrier contacte un prestataire plus aguerri, Agence Publics, connu des sarkozystes, et le charge des trois plus grands rendez-vous de la campagne. Mais Bygmalion - que Lavrilleux défend avec vigueur - obtient sa part du gâteau de ces manifestations. Et conserve l'organisation des autres meetings.

Au final, il y en aura quarante-deux, tous exigés par un candidat insatiable. Personne alors n'imagine que la petite boîte de com créée par les copains de Copé sera deux ans plus tard le cauchemar de Sarkozy. Depuis les aveux de Jérôme Lavrilleux, confessant en direct que la campagne du président sortant a dérapé de 11 millions d'euros, c'est tout l'édifice de la droite qui se trouve ébranlé par cette bombe à fragmentation. Que s'est-il vraiment passé entre le 15 février, jour de sa déclaration de candidature, et sa défaite du 6 mai ? Une campagne hors norme, un show quotidien et ruineux qui a fait exploser les compteurs, comme le racontent aujourd'hui Jérôme Lavrilleux et l'avocat de Bygmalion ? Ce surcoût, expliquent-ils, a fait l'objet d'une facturation parallèle et occulte à l'UMP pour ne pas dépasser le plafond légal de campagne.

Au départ, cette campagne, personne n'y croit vraiment. Personne ne veut la faire. Et personne ne la prépare. Le rejet de Sarkozy dans le pays a douché les ardeurs. Le président cherche désespérément un directeur de campagne. Il ne peut pas compter sur Claude Guéant, l'homme clé de 2007, alors en poste à Beauvau. Il sollicite René Ricol, son ancien commissaire aux investissements d'avenir, expert-comptable de formation. Il essuie un refus. Son ancienne directrice de cabinet Emmanuelle Mignon préfère se consacrer au projet au sein de l'équipe.

Guillaume Lambert, chef de cabinet à l'Elysée, est finalement désigné. Ce préfet, le doigt sur la couture du pantalon, n'en a guère envie mais il obtempère. Le préfet Lambert apparaît vite mal à l'aise dans son nouveau rôle de directeur de campagne. "Il a été complètement dépassé", raconte un ex-membre de l'équipe. Un proche de l'ancien président ajoute : "Il est naïf par rapport aux autres."

Les autres ? Les copéistes. Nicolas Sarkozy a besoin d'eux, besoin de la machine du parti. Jean-François Copé en profite pour se rendre indispensable et s'invite à tous les meetings pour assurer au passage son autopromotion. Le candidat a voulu une équipe resserrée avec un quarteron de proches, Patrick Buisson, Jean-Michel Goudard, Pierre Giacometti, Franck Louvrier. Les ministres sont tenus à l'écart. Une équipe travaille sur le fond des discours. Une autre, décisive, assure toute l'organisation des meetings. Dans cette dernière, un homme s'affirme : Jérôme Lavrilleux, l'âme damnée de Copé depuis de longues années, un organisateur hors pair propulsé par Patrick Buisson comme directeur adjoint de la campagne. Fils d'un garagiste, il s'est élevé à la force du poignet dans le sillage du député-maire de Meaux. A l'Elysée, au QG de campagne, il oublie ces années où il ne détestait personne autant que Sarkozy !

C'est la version livrée aujourd'hui par plusieurs cadres de Bygmalion. L'un d'eux, sous couvert d'anonymat, raconte : Fin mars 2012, nous n'avions toujours pas été payés et nos prestataires attendaient. Franck Attal, le patron d'Event & Cie, la filiale événementielle de Bygmalion qui fait les meetings, va voir Lavrilleux et ce dernier lui dit : 'On ne va pas pouvoir vous payer sur les comptes de campagne. Donc ce qu'on va faire, c'est que, comme l'UMP a organisé des conventions, vous facturerez des prestations là-dessus.'" Certaines de ces conventions ont bel et bien existé, d'autres n'ont jamais eu lieu, comme l'a révélé "Libération", déclenchant une enquête préliminaire et une perquisition le 26 mai dernier dans les locaux de Bygmalion.

Quand en mars 2012 Franck Attal revient de ce rendez-vous avec Jérôme Lavrilleux, "il est livide", poursuit ce cadre de Bygmalion. Mais à partir de là, c'est simple : ou la boîte fait les fausses factures, ou elle coule. Si on dit non, Sarkozy est fini. Les deux fondateurs, Bastien Millot et Guy Alves, se réunissent. Et ensuite c'est Bastien qui gère avec Lavrilleux". Résultat ? Le surcoût en meetings - de l'ordre de 11 millions - est selon cette version indûment imputé à l'UMP. "Deux hommes au moins sont au courant, explique ce même cadre, Jérôme Lavrilleux et Eric Cesari." L'âme damnée de Copé et le discret directeur général de l'UMP. Un ex-collaborateur de Pasqua nommé à ce poste par Sarkozy en 2008, ce qui lui vaut le surnom d'"oeil de Moscou". L'un et l'autre ont ils parlé à Copé ou Sarkozy ? Non, assure Lavrilleux. Cesari, lui, préfère rester aux abonnés absents...

Les comptes de campagne ont-ils dérapé autant ? Une chose est sûre : pour reconquérir les Français, Nicolas Sarkozy a vu les choses en grand. Moins de dix jours après sa déclaration de candidature, l'animal revigoré par son entrée en campagne s'emballe devant son conseil stratégique où siègent François Fillon, Jean-François Copé, Rachida Dati et Bruno Le Maire qui en a fait le récit dans "Jours de pouvoir" : L'autre [François Hollande, NDLR], il joue petit bras et en finale il faut pas jouer petit bras... Notre campagne, ça doit être une suite de nouvelles campagnes. Une surprise chaque jour. 2007 c'était l'Empereur, 2012 ce sera Survivor."

Sarkozy n'avait plus le lien avec les Français et il a eu le sentiment de le retrouver avec ces meetings, il a repris goût à ça et en a demandé d'autres, raconte un ancien membre du QG. Nous, on vivait avec le sentiment d'une improvisation permanente." La campagne 2012 par rapport à celle de 2007 s'est déroulée en direct à la télé. On programmait nos lancements de meeting pour être en direct sur les chaînes d'info. On leur fournissait les plateaux techniques. Les meetings étaient très regardés, les gens ont suivi ça comme le 'Loft'...", racontait il y a quelques mois un Jérôme Lavrilleux fier alors du travail accompli. "On a mis beaucoup de moyens financiers sur ces meetings plutôt que sur l'impression de documents de campagne. On a annulé à la dernière minute des événements dans les fédérations pour être sûrs que les militants viendraient bien aux grands rendez-vous", raconte une petite main de la campagne.

A chaque meeting, il y avait cinq caméras, dont une avec un bras télescopique que Hollande, lui, n'a dû utiliser qu'une seule fois, un réalisateur connu, quatre ou cinq semi-remorques de matériel, une salle de presse. Une seule fois, après Marseille, on nous a demandé de réduire les coûts. Après, c'est reparti en vrille", raconte un salarié de Bygmalion.

Le clou du spectacle, ce fut le meeting de Villepinte, le 11 mars. Officiellement, il a coûté 3 millions d'euros ! Mise en scène grandiose, 50.000 militants annoncés, des TGV affrétés pour les amener sans en perdre un en route. Un podium s'avançant dans la salle, inspiré directement de celui du soir de la victoire de Barack Obama, pour que le candidat-président s'exprime au coeur de la foule.

Quel a été le coût réel de ces meetings ? Officiellement, 13,7 millions d'euros déclarés dans les comptes de campagne. Alors que dans le même temps, ceux de François Hollande affichent 9,3 millions d'euros (pour 38 meetings). Pas de quoi troubler à l'époque Philippe Briand. Ce chiraquien fortuné, patron d'un groupe de gestion de biens immobiliers, est l'homme que Sarkozy s'est choisi comme mandataire financier. Tout cela ne restait-il pas dans les clous de la précédente campagne (12,3 millions en 2007) ? En réalité, pourtant, à en croire Bygmalion, les compteurs s'affolaient. Les factures saisies par les enquêteurs chez Event & Cie s'élèveraient, à elles seules, à 19 millions d'euros.

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