L’anniversaire de la chute de Lehman Brothers, a donné lieu à la publication de nombreux articles dans la presse mondiale, car des enseignements instructifs peuvent en être tirés.
Pour retenir l’un de ces papiers, il faut citer celui de Joe Nocera dans le New York Times du 12 septembre dernier: «Lehman devait mourir pour que la finance globale puisse survivre »; c’était AIG le gros morceaux, qui pu bénéficier après le lâchage de Lehman d’un énorme plan de sauvetage public sans précédent. La panique crée par la chute de l’un a permis que l’autre («une bombe atomique financière », dit l’article) soit tiré d’affaire.
A l’époque, l’affaire était particulièrement d’importance, car le « risque systémique » était tel, vu les volumes d’actifs devenus sans valeur et leur dissémination, que c’est l’ensemble du système financier mondial qui se serait probablement écroulé. Et que cela concernait non seulement les banques américaines, mais également la Chine, le financier des Etats-Unis. Car les Chinois avaient imprudemment joué au jeu devenu brutalement mortel des « subprimes », faisant alors savoir au gouvernement américain qu’ils ne voulaient pas en faire les frais. Il fut donc fait ce qui devait l’être, pour préserver l’avenir entre gens de bonne compagnie. Mais il avait été moins perçu qu’il y avait eu d’autres graves victimes en Europe du même sinistre. En fait, toutes les grandes banques européennes, y compris et surtout celles qui aujourd’hui encore ne pipent pas mot, ont été touchées de plein fouet. Pourquoi et comment ?
La dernière réunion des ministres des finances de Londres, en préparation du prochain G20 de Pittsburgh qui aura lieu dans une dizaine de jours maintenant, a dévoilé le pot aux roses à la faveur d’un épisode de l’âpre bagarre financière qui oppose Européens et Américains. L’assise des banques Européennes, s’appuyant sur les subtilités de la réglementation de « Bâle II », repose en effet beaucoup sur des « quasi fonds propres », dont il ne faut en l’occurrence pas chercher l’origine ailleurs qu’outre Atlantique, dans ces produits financiers dont on sait désormais la valeur quasi nulle. C’est dire que la situation des banques n’est pas transparente !
Somme toute, la faillite d’AIG aurait fait d’une seule balle deux victimes, la Chine mais aussi l’Europe (et les Etats-Unis derrière)! Voilà qui donne une image de la complexité de la situation, d’une région du monde à une autre, et surtout de son étroite imbrication, rendant les Etats concurrents et solidaires à la fois. Un peu comme lorsque l’on entreprend d’analyser comment les banques centrales soutiennent le dollar pour qu’ils ne plonge pas, et achètent des bons du Trésor Américains au-delà de toute prudence. Il y a la scène, et il y a les coulisses.
Mais ce passé très proche éclaire aussi le présent, ce qui fait plus spécialement son intérêt. Y faire référence permet de voir l’absence de progrès accomplis et l’aveuglement des banques a vouloir continuer comme avant et comme de si rien n’était.en ’engouffrant dans les spéculations restant à leur portée, s’opposant de toute leur puissance financière à la régulation effective de leurs chasses privées.
Sous couvert d’un jugement équilibré (dont il faut toujours attendre le pire, dans ce monde-là), la BRI commet son forfait en deux temps. Elle tonne que la simple « compensation » des produits dérivés n’est pas suffisante pour glisser ensuite qu’il n’est ni possible ni souhaitable de normaliser tous les produits dérivés, car ils sont « un instrument d’innovation financière ». Une explication qui semble suffire à elle-même.
Ce qui amène à s’interroger plus généralement à leur propos, alors qu’ils sont censés réduire les risques et qu’il n’est plus nécessaire de prouver que globalement ils les accroissent au-delà de toute mesure. De la même manière qu’il est possible de constater que le monde financier est en réalité un gigantesque terrain de délits d’initiés systématiques qui ne s’avouent jamais dans un monde où ils sont officiellement proscrits. Malheur étant aux rares qui se font parfois prendre par les gendarmes ! Les meilleurs risques étant ceux que l’on déjoue par avance.
Si l’on veut honnêtement examiner ce qui a été réalisé en catastrophe depuis l’éclatement de la crise, on peut le résumer ainsi :
1/ une crise aiguë dévastatrice a été in extremis évitée au profit d’une crise larvée d’une durée indéterminée, qui risque de ne pas moins l’être.
2/ Alors que très lentement la bulle financière à l’origine de la crise crève, deux autres bulles sont crées à marche forcée, l’une publique (la dette des Etats), l’autre privée (résultant de spéculations dans les marchés qui s’y prêtent).
3/ La régulation financière qui promet d’être instituée est une aimable plaisanterie, à moins d’un sursaut dont on attend le signal.
4/ Les conséquences sociales de la crise, dont le chômage et l’augmentation de la précarité (y compris et surtout parmi les « classes moyennes ») ne commencent qu’à se faire sentir et leur impact va inéluctablement s’approfondir.