On est le 1er mai 2012. Le premier tour de la présidentielle qui vient d'avoir lieu a dispersé façon puzzle les convenances démocratiques et les habitudes oscillantes du bipartisme.
Marine Le Pen termine en tête avec 23 % des voix. François Hollande la talonne, à 22 %. Nicolas Sarkozy périclite, juste en dessous de 20%. L'analyse du scrutin est vite vue. L'attaque des marchés contre les pays de la zone euro a torpillé toute confiance des populations dans la capacité d'action des politiques. La lenteur de réaction de Bruxelles, de la BCE, comme des nouvelles instances intergouvernementales, a délégitimé la logique européenne. Les coupes claires pratiquées dans les budgets publics ont angoissé plus encore un pays veuf de son modèle social. Et, surtout, la récession et son lot de licenciements ont allongé les files d'attente devant chez Pôle Emploi, tout en dégarnissant celles des bureaux de vote.
Résultat? Souverainisme résurgent, haro sur les élites complices des «banksters», tir à vue sur le programme du PS, vécu comme trop raisonnable et trop accommodant pour avoir le moindre intérêt. D'où une abstention géantissime et une prime aux candidats de rupture, FN ou Front de gauche, ce dernier émargeant à 15%.
Borloo, Yade, Raffarin et Wauqiez défilent de République à Nation
Dans les jardins de l'Elysée, Sarko profite du soleil printanier et de sa dernière semaine avant que le bail ne vienne à échéance. Cigare au bec, il bronze torse nu dans une chaise longue, portable à l'oreille et Ray Ban collées sur les paupières depuis qu'il s'est pris la rouste de sa vie.
L'UMP est en haillons. La partition s'accélère. Borloo, Yade, Raffarin, et Wauquiez ont rallié sans condition l'autre rive. Villepin feint de croire qu'on s'intéresse encore à son soutien et demande des gages extravagants et incompréhensibles avant de passer l'arme à gauche. Tous défileront en cette après- midi de République à Nation, aux côtés d'une gauche nauséeuse, pour un remake palôt du 1er mai 2002.
Sur l'autre versant, la Droite Populaire n'a pas trainé à tomber du côté où elle penchait. Elle appelle sans ambiguïtés à voter pour le FN. Mariani et compagnie étaient ce matin venus célébrer la nouvelle Jeanne d'Arc, place des Pyramides. Le défilé était chamarré, sans trop de bleu-blanc-rouge, et les crânes rasés étaient tenus en lisière. Nouvelles preuves de la volonté affirmée de la fille de gouverner, quand le père faisait tout pour ne pas y arriver. On raconte aussi qu'Hortefeux et Guéant, les porte-flingues du discours sécuritaire de Sarkozy, viennent de passer du clignement discret à l'oeillade complice et négocient en secret un maroquin pour si jamais.
«Quant à Matignon, si vous insistez vraiment, je veux bien me dévouer.»
Général défait, Sarkozy tente de survivre en se réinventant stratège sioux et apprenti sorcier. Il a cessé d'éructer contre tout un chacun et susurre, câline, cajole. La situation est si désespérée pour l'UMP que l'activisme du trépignant constitue le seul point fixe dans la débâcle. Et que ses anciens ministres qui craignent pour leur circonscription consentent à l'écouter. Voilà le plan qu'il expose à Copé, Fillon, Chatel et à tous ceux qui le prennent encore au téléphone:
«La présidentielle est perdue? Hollande devrait passer? Faisons en sorte que Le Pen-fille ne soit pas trop distancée en faisant voter pour elle sans le dire à la façon de Chirac pour Mitterrand en 81. Et concentrons nous sur les législatives.
Il s'agit pas de conclure un programme commun de la droite mais de négocier de multiples accords locaux avec
des candidats FN afin de réduire au maximum les triangulaires.Vu la volatilité de l'électorat, nous pouvons espérer conserver le Palais Bourbon et obliger Hollande à une cohabitation
immédiate.
Nous laisserions à nos nouveaux alliés les Affaires Sociales, les Transports et la Culture. Les emmerdes et les fanfreluches, quoi! Un peu comme ce
qu'avait fait Mitterrand avec les communistes en 81. Et nous garderions Bercy, le Quai d'Orsay et l'Intérieur, histoire de rassurer l'Europe et les marchés. Quant à Matignon, si vous insistez
vraiment, je veux bien me dévouer.»
Marine Le Pen avec des dreadlocks
Sarkozy fait gicler une noisette de crème à bronzer dont il badigeonne ses épaules hoquetantes. Il lui reste une bonne demi-heure avant que son interlocutrice ne passe la grille du Coq. Ils ont convenu qu'elle porterait des dread locks de rasta pour se dérober à la curiosité ambiante. Mais, Sarko a veillé à ce qu'un paparazzi à sa botte mette la scène en boîte.
Marine Le Pen a tellement joué la pasionaria des oubliés, des négligés, des petits, que la mise en ligne de ces photos volées lui ferait le plus grand mal si elle s'avisait de faire la difficile. Le futur ex-président, lui, a surtout veillé à ce que Carla, Turinoise rive gauche, ne croise pas la championne de l'extrême-droite, même si celle-ci a mis la pédale douce à sa xénophobie.
C'est pourquoi, le petit Machiavel de Neuilly a encouragé
son épouse à participer à la manif du 1er mai qui démarre sous peu.
Sait-on jamais! Autant garder deux fers, au feu.