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Le blog de Eric de Falco

Le blog de Eric de Falco

conseiller général du 1° canton de Rouen


Le cabinet du généraliste, observatoire privilégié

Publié par Eric de Falco sur 27 Janvier 2012, 08:28am

Catégories : #actualité

C’est elle-même qui le dit. Le cabinet du généraliste, comme l’école, offre un excellent point de vue sur la société. « On en perçoit tous les dysfonctionnements ». Gilda Romeo, jeune sexagénaire toute menue et un brin réservée, mais intarissable une fois en confiance, a fait quasiment toute sa carrière à Sceaux, où elle s’est installée en 1981 pour tenter de pratiquer une « médecine humaniste et globale ». Dans son cabinet avec vue sur jardin, elle prend le temps d’écouter ses patients. Une demi-heure en moyenne, la consultation. « Ils se posent. Et ils ne parlent pas que de leurs maux physiques. Ils viennent chercher de l’aide dans un lieu de neutralité et de confiance ». Qu’a-t-elle donc remarqué des évolutions de la société française au cours de ses trois décennies de pratiques ?

L’image du médecin dans la société a changé

« En 2005, je me suis fait braquer par deux jeunes, avec un pistolet, qui voulaient de l’argent. Ils ont été attrapés, ils avaient braqué d’autres médecins avant moi. Là, je me suis dit qu’il y avait une évolution dramatique. Dans l’esprit des jeunes, le médecin brasse de l’argent. Et, bien que nous dispensions des soins à tous sans discrimination, bien que nous portions assistance, nous ne sommes plus respectés. C’est la même chose avec les pompiers… Il y a quelque chose de très transgressif dans tout cela. »

Les pathologies sont différentes

« Avant les gens étaient fatigués physiquement, maintenant ils sont fatigués nerveusement».

Les gens meurent moins

« Grâce aux diagnostics précoces, à l’explosion de l’imagerie médicale, ils guérissent!»

Les cadres du privé sont en souffrance

« Ils sont sur des sièges éjectables. Harcelés. Soumis à des demandes incessantes, stressantes, avec une accélération des rythmes liée à l’informatique. Ils ont de plus en plus de tâches peu créatives, de rapports, de justifications à fournir. Cela mène à des effondrements psychiques, surtout chez ceux qui ont la plus grande conscience professionnelle. Et à partir de 50 ans, on leur dit que ce qu’ils font est nul ! Tout le monde n’est pas sous anxiolytiques, mais la société est dans l’ensemble assez morose».

Les cadres de la fonction publique…

« sont surchargés de boulot, et ont le sentiment que l’on torpille toutes les fonctions symboliques, justice, enseignement. »

Les jeunes qui travaillent…

« se posent plein de question sur le sens de leur travail, et sur leur niveau de vie. Leur salaire sera-t-il suffisant pour vivre, pour se loger ? Par le passé, quelqu’un qui travaillait ne se posait pas ces questions. Le fait de faire des études ne garantit plus de vivre confortablement. Ceux qui s’en sortent sont ceux dont les familles sont là pour les mettre dans le circuit ».

Les enfants, les adolescents sont pris dans la compétition

« Moi, de l’école au lycée, je ne me souviens pas avoir beaucoup travaillé. Aujourd’hui, les gosses doivent impérativement ramener de bonnes notes, et même les meilleures, sinon les parents angoissent. Toute la société est sous tension. Quand je demande aux enfants ce qu’ils veulent faire plus tard, ils n’osent plus rien dire, comme si l’avenir était impossible. Nous, on rêvait ».

Une plus grande ouverture d’esprit des parents…

« même dans les familles catholiques. Les jeunes amènent leur copain à la maison. C’est d’autant plus important qu’ils ne peuvent plus quitter le foyer familial, comme nous le faisions, à 22 ans. ».

La population de Sceaux a changé

« La flambée de l’immobilier crée des ghettos. Avant, des instituteurs, des profs s’achetaient des maisons ici, maintenant ce n’est plus possible. Mon nouveau voisin est trader ».

Les gens qui sont un peu limite n’ont plus de place…

« dans la société. Les personnes atteintes de pathologies psychiques légères sont repoussées aux marges. La société est devenue tellement rigide. Même pour entretenir un jardin, il faut des tas de diplômes ».

Les médecins généralistes disparaissent

 « Je suis en secteur 2, avec des honoraires libres (35 euros la consultation) pour avoir le temps de soigner mes patients, et pour être mieux rémunérée. A Sceaux, il y a une douzaine de généralistes, ce qui n’est pas énorme pour 20000 habitants. Ceux qui partent en retraite ne sont pas remplacés. Ces dernières années, on a formé trop peu de médecins dans une stratégie à courte vue de baisse des dépenses de santé. Et ces jeunes médecins ne veulent plus s’installer en libéral. Trop contraignant, et pas assez lucratif, surtout ici, vu les prix de l’immobilier ! Ils veulent tous être salariés. Un problème social va se poser. Les riches se feront toujours soigner en allant directement consulter un spécialiste, mais les autres ? Nous nous sommes réunis plusieurs fois, avec le maire, pour parler du devenir de la médecine générale à Sceaux. Le problème a l’air assez insoluble ».

 

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