Comme chaque année, le baccalauréat est suivi de quelques jours par la récolte des perles. Les professeurs ont eu le temps de corriger les dissertations de philosophie, épreuve-reine des jugements à l’emporte-pièce, discipline suprême de l’enfilage de perles, et d’en extraire le meilleur.
«Les désirs naturels varient, estime un élève. Par exemple, pour une famille vivant en Afrique, les désirs naturels seront de dormir et de manger car l'Afrique vit encore de manière sauvage. Mais pour un Français bien plus évolué, ce sera d'avoir une voiture, une machine à laver et une très grande garde-robe.»
Effectivement, pour qui n’est pas un sauvage, posséder «une très grande garde-robe» est un désir tout ce qu’il y a de plus naturel. De même que coucher avec le petit ami de sa meilleure copine, comme l’explique une jeune fille: «Par exemple, j'ai vécu une expérience qui illustre très bien le sujet. Ma meilleure amie sortait avec un garçon très mignon qui m'a fait des avances.»
«Le désir d'enfant pour une femme est naturel, donner la vie est dans l'ordre des choses, c'est instinctif d'avoir une progéniture», propose un autre élève. Il poursuit: «Les femmes qui n'en veulent pas, ou pire qui choississent (sic) l'abominable assassinat en avortant, sont donc des êtres pervertis.»
«Les scientifiques, les artistes et les philosophes sont des hommes dont l'utilité demeurent (sic) mentale et pas autrement, et encore pas pour tout le monde», tranche un lycéen. Cette sentence aurait mérité de figurer dans «le Monde» de samedi dernier. Le quotidien s’intéressait aux «nouveaux clients de la philo». L’article démarrait sur le constat que la discipline «ne séduit plus les élèves»: «Beaucoup sont découragés par leurs heures de philo, n’y entendent rien, s’ennuient, trouvent la discipline trop éloignée de leur quotidien.»
un professeur rapporte que lorsqu’il explique à ses élèves que la philosophie vise à les «délivrer de leurs "opinions communes"», ils lui répondent qu’ils y tiennent, à leurs opinions, et qu’ils ne voient pas l’intérêt d’en être délivrés.
On comprend donc mieux qu’un candidat, invité à réfléchir sur le travail et l’utilité sociale, se fende d’une pensée aussi mûrie: «Si le travail rend utile, alors pourquoi tant de gens ne s'en rendent pas compte et préfèrent profiter du système en prenant l'argent des autres sans travailler (je parle ici du chômage)?»
En revanche, cet abandon de la pensée au profit de l’opinion n’explique pas tout. Cherchant à comprendre ce qu’on gagne à travailler, un lycéen a livré ce commentaire étonnant: «Il faut travailler car on ne peut pas vive (sic) éternellement au crochet de ces (sic) parents. Au moyen ages (sic), un boufon (sic) pas drôle par exemple n'avais (sic) pas ça place au chateau (sic) par temps de famines (sic).» Dans les cours d’histoire de la pensée, on oublie trop souvent de mentionner l’existence d’une école philosophique vieille comme le monde, aussi influente qu’invincible: le n’importe-quoi.