«Mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera donc pas élu et pourtant, il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.» François Hollande, dans ce qui fut pour beaucoup un discours fondateur,au Bourget le 22 janvier 2012 ajoutait : «Maîtriser la finance commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives.» Cette proposition est en 7e position dans son programme. Une année s’est écoulée et le projet de loi sur la séparation des banques sera discuté en février au Parlement.
Rien dans ce projet de loi présenté en Conseil des ministres avant Noël n’oblige en effet les banques à séparer leurs activités. Il propose tout juste de filialiser les banques de dépôts et les banques d’affaires. Et seulement 1% des activités financières seront cantonnées dans une filiale et 99% des activités les plus dangereuses continueront d’être couvertes par l’Etat en cas de défaillance et donc de menacer les dépôts des Français et notre économie.
La filialisation ne règle rien, elle n’empêche pas une maison mère d’être mise en difficulté par la faillite d’une de ses filiales. L’exemple d’AIG en 2008 en a fait la démonstration : 116 000 employés d’un côté, coulés par une microfiliale (350 employés) qui avait accumulé suffisamment de risques (1 600 milliards de dollars) pour faire chuter l’ensemble du groupe. Le premier assureur mondial a été sauvé in extremis par le gouvernement américain - c’est-à-dire le contribuable - afin d’éviter l’effondrement du système tout entier.
Autre chantage : «Si vous séparez les activités, nous fermerons des agences, il y aura des chômeurs en plus.» Ah bon ? L’activité des banques de dépôt va augmenter et vous allez fermer des agences ? Nous pensons au contraire qu’il faudra embaucher des banquiers pour booster l’activité de crédit aux PME, aux ménages, étudier les dossiers, les faire avancer, grandir, les refuser aussi parfois, bref : faire un vrai travail utile, visible, critiquable ou admirable.
Pourquoi ce choix de filialiser plutôt que de séparer alors que de très nombreux économistes et dirigeants de premiers plans - de Joseph Stiglitz à Christine Lagarde, en passant par Michel Rocard, Nicolas Baverez, Jean Peyvelerade ou encore Warren Buffett - se sont prononcés en faveur d’un cloisonnement strict entre les activités commerciales et les activités de marché ? Pourquoi le projet français est-il le plus timide, le moins ambitieux, le plus frileux de tous ceux envisagés actuellement sur la planète?
Cette loi, si elle est adoptée en l’état, ne servira donc que 9 018 traders et quatre PDG. Le salaire fixe des traders varie de 6 000 à 9 000 euros par mois. Les bonus octroyés le portent à 50 000, 70 000 voire 90 000 euros mensuels. On comprend que le lobbying orchestré ait été farouche. Ce qu’on ne comprend pas, c’est pourquoi Pierre Moscovici s’y est laissé prendre. Un moment de faiblesse ? Sûrement. Aidons-le à se reprendre. Séparer les activités bancaires utiles à l’investissement et à l’emploi de celles purement spéculatives n’empêcherait pas les traders de «jouer», mais ils ne seraient pas couverts par l’Etat en cas de dérive. Quand on perd au casino, on ne demande pas à l’Etat de couvrir notre mise pour jouer encore et encore… jusqu’à ce qu’on gagne de nouveau.
Le système bancaire actuel est le fruit d’une volonté et de lois. Une autre volonté et d’autres lois peuvent le changer. Quand les quatre présidents des banques universelles françaises et leurs chevaux légers vous disent que c’est impossible, trop dangereux… posez-vous la question : si la volonté du peuple ne peut être imposée par les législateurs, alors pourquoi demande-t-on au peuple de voter ? La France tient là une occasion en or de montrer l’exemple, ne la laissons pas passer.