Le dénominateur commun de ces Berlinois est la précarité. Plus qu’une communauté, ils forment un agrégat de destins individuels, pas forcément tragiques. Entre Eric, Harry, Benoît (1) et Mathilde, peu de points communs, si ce n’est une étiquette qui n’a pas bonne presse : ce sont des "Hartzer". Néologisme créé à partir du nom de l’artisan des réformes libérales sous Schröder (Peter Hartz), il désigne les chômeurs de longue durée et plus largement les personnes vivant de peu, par choix ou non.
Employé depuis quelques jours dans un garage à vélos au pied de l’emblématique "Fernsehturm", la direction vient – "enfin !" - de lui proposer un contrat ferme. Une aubaine pour ce jeune Berlinois de 27 ans sans diplôme supérieur. Eric a fait partie de ces perdants du rêve allemand : pas assez qualifié pour intéresser l’industrie, trop peu "flexible" pour accepter le premier "job pourri" venu, parfois à l’autre bout du pays.
Par la force des choses, Harry est devenu un véritable expert des rouages allemands. "L’Allemagne a créé un système d’une complexité kafkaïenne". "Diviser pour mieux régner, en quelque sorte", continue le directeur entre deux envois de mails, détaillant les innombrables "cas" et restrictions prévus par l’administration de ce "pays riche avec des gens pauvres".
On se rend vite compte que le système social français est meilleur, surtout quand on a des enfants", ajoute-t-il, couvant sa petite fille du regard. Le jeune artiste profite du "droit d’exposer dans la rue sans autorisation préalable", mais sait également que la concurrence est plus rude qu’ailleurs, le coût peu élevé de la vie ayant attiré des milliers d’artistes.
Une chance que n’a pas Mathilde Ramadier, jeune graphiste française installée dans le remuant quartier turc de la capitale.Très vite, elle découvre l’envers du décor du German dream. "Lors de mon premier entretien pour une start-up, on m’a proposé 600 euros pour un plein-temps !", se désole-t-elle. En l’absence de salaire minimum et d’accord de branche, le salaire est en effet à la discrétion de l’employeur. Vivant avec "700 à 800€ par mois" et déçue par un marché du travail où l’on "se bat pour avoir l’équivalent d’un SMIC français."
Dans un pays où 72,5% de la population accepte l’idée du libéralisme économique (étude Arval, 2008), les critiques du système se concentrent sur un seul point : les sanctions de plus en plus nombreuses infligées aux chômeurs. Le candidat social-démocrate à la chancellerie a d’ailleurs désigné un critique notoire des réformes Schröder comme futur ministre des Affaires sociales, sans pour autant préciser quel est son mandat. Pas de quoi inquiéter les tenants d’une logique qui a fait chuter le taux de chômage à 7,2 % en 2013.