extraits de l'homélie de Monseigneur di Falco Léandri
CATHEDRALE DE GAP
JEUDI 24 DECEMBRE 2009
VENDREDI 25 DECEMBRE
2009
Chers frères et sœurs,
Deux épreuves devraient nous faire peur, l’épreuve de la misère et l’épreuve de la richesse. Mais bien souvent nous ne craignons que la première.
L’épreuve de la misère. Nous avons raison de la craindre. La pauvreté extrême déshumanise. L’échec d’une insertion sociale peut nous fait perdre toute espérance. Elle peut nous donner l’impression d’être abandonnés, d’être des oubliés, d’être des ratés. Coupés de toute relation humaine, coupés de tout miroir humain, nous perdons le sens de notre identité. Oh bien sûr ! Ce pourrait être le moment de tout miser sur Dieu, d’espérer contre toute espérance, de naître à nouveau à une foi vraie. Mais en aurons-nous seulement l’envie, la force ?
L’autre épreuve, c’est celle de la richesse. Une épreuve, la richesse ? Lorsqu’on parle de richesse on pense aussitôt « argent ». Il n’y a pas que cette richesse-là, même si trop riches, nous risquons d’oublier le donateur de tout don. Repus, nous risquons d’oublier que nous sommes des êtres dépendants les uns des autres. Nous sommes riches, dès lors que nous croyons posséder quelque chose ou quelqu’un. Nous sommes riches, dès lors que nous nous considérons comme propriétaires et non pas gestionnaires de nos vies, de nos biens, des biens de cette terre, de notre terre. Si nous recevons, ce n’est pas pour garder, c’est pour donner. Si nous recevons, ce n’est pas pour garder, c’est pour faire fructifier.
Nombreux sont ceux qui dépensent toute leur énergie pour avoir toujours davantage. En sont-ils plus heureux ? Pas si sûr. Ils sont peut-être au contraire à plaindre, car souvent ils cherchent à compenser dans l’avoir ce qui leur manque dans l’être.
En notre XXIe siècle, ce n’est pas tant la pauvreté matérielle volontaire qu’il nous faut rechercher, même si certains le font, que l’adoption de styles de vie sobres et responsables. Le pape nous y invitait à l’occasion de l’ouverture de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques à Copenhague, ceci par respect pour la création, par respect pour les pauvres, par respect pour les générations futures.
Mais en vérité aussi, cette pauvreté existentielle est une immense richesse dès lors que nous l’acceptons. Nous sommes pauvres, et riches de notre pauvreté, en vivant au jour le jour du travail de nos mains, mettant en Dieu notre espérance pour le lendemain. « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Nous sommes pauvres, et riches de notre pauvreté, lorsque nous vivons l’espérance. « Les pauvres ont le secret de l’espérance » comme le disait Georges Bernanos.
Quelle est finalement la vraie misère de l’homme ? Quelle est la misère commune au riche et au pauvre ? Quelqu’un peut-il me le dire ? Ne serait-ce pas celle de vivre sans espérance ? « Souvent, la véritable pauvreté de l’homme est le manque d’espérance, l’absence d’un Père qui donne un sens à son existence : "Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance" », dit Benoît XVI. Oui, le manque d’espérance, tel est le mal qui ronge aussi bien les pauvres que les riches.
Les people, les VIP, les personnes de renoms, j’ai pu en rencontrer, et on m’en a fait souvent le reproche. Mais combien savent la misère affective que certains tentent tant bien que mal de cacher ! Pendant quinze ans, j’ai été l’aumônier d’une école pour les élites, une école de pensionnaires où je me rendais le week-end. Quelle détresse j’ai pu trouver chez ces jeunes qui avaient soi-disant tout, sauf trop souvent l’essentiel : l’amour !
Nous sommes appelés à donner. Mais donner du bout des doigts sans donner du temps, sans donner un sourire, sans donner de sa sueur et de son sang, sans un cœur à cœur, ce n’est pas donner. Celui avec qui nous partageons ce n’est pas un anonyme, c’est quelqu’un, une personne, un visage. Et ce que nous avons à partager, ce n’est pas en premier lieu quelque chose, c’est quelqu’un. C’est nous-mêmes avec notre pauvreté. Et c’est ce Quelqu’un que nous appelons Dieu et qui vient combler cette pauvreté.
Le riche tout comme le pauvre sont des êtres isolés. Le riche, on l’approche trop souvent de manière intéressée alors qu’il aimerait une parole gratuite. Le pauvre, on l’approche trop souvent par pitié alors qu’il aimerait être traité d’égal à égal.
Jean-Michel di FALCO
LEANDRI
Evêque de GAP et d’EMBRUN