C'est plus qu'une crise économique. Nous vivons une troisième révolution industrielle. Elle comporte la transition douloureuse d'un système technique à un autre.Toute la société est profondément bouleversée et les rapports géopolitiques sont en cours de redéfinition.
Au 18e siècle une première révolution industrielle s'est produite, fondée sur les progrès de la métallurgie et l'invention de la machine à vapeur. À la fin du 19e siècle, sont apparues deux formes nouvelles d'énergie, l'électricité et le pétrole et le cortège d'inventions qui en ont découlé : moteur électrique, lampe électrique, moteur à essence etc. La troisième révolution s'est produite vers 1975 avec l'informatisation. L'informatique et les réseaux transforment tellement la vie économique qu'il est utile d'employer un néologisme pour désigner le nouveau paradigme. C'est « l'iconomie ».
Lors des deux révolutions précédentes, fondées sur la mécanisation et la maîtrise de l'énergie, les pays qui n'ont pas voulu ou su s'adapter ont été incapables de se défendre contre les canons anglais. Ils ont été pillés, occupés, humiliés. C'est le cas de la Chine. Avant le 18e, elle avait été la plus grande puissance, un empire et une civilisation riche et inventive. Aujourd'hui, elle est en train de retrouver son rang. D'après Angus Maddison, en 1820, la Chine produisait 33% du PIB mondial et en 1950, elle n'en produisait plus que 4%.
Refuser les apports d'une révolution industrielle, c'est s'exposer au sous-développement, se transformer en proie. À court terme, cela pose un problème d'emploi. La population n'est pas préparée. Elle a été formée à des tâches répétitives, manuelles ou mentales. Voyez la crise chez les lawyers américains, les cabinets d'avocats. Ils ne savent plus comment justifier leurs honoraires. Auparavant, il facturaient la recherche de jurisprudence. Maintenant, il existe des logiciels très rapides et efficaces.
Les usines se vident. Ce sont des hangars à robots, enfermés chacun dans une cage de verre pour protéger les passants. Les
seuls humains présents dans l'usine sont un superviseur derrière un ordinateur et l'équipe de maintenance. Où passe l'emploi ? Où seront les emplois de demain me demandez-vous ?
En amont d'abord, dans la conception des produits et des automates. Et en aval, dans le service au client. Les produits sont devenus des assemblages de biens et de services. C'est déjà le cas des
voitures, par exemple. Auparavant, il fallait de la main d'œuvre. Maintenant, il faut du cerveau d'œuvre.
Nous ne sommes qu'à mi-chemin du processus. Entre 1812 et 1975, il s'est écoulé environ un siècle et demi. De 1975 à aujourd'hui, cela fait même pas un tiers de la période précédente. Ce qui a été réalisé représente epsilon de ce qui nous attend.
Voyez
l'exemple de Faraday. Il a découvert tous les phénomènes électriques et magnétiques que la théorie de Maxwell a expliqués par la suite. Les deux grandes inventions majeures sont cependant
arrivées bien après la mort de Faraday : la lampe électrique et le moteur électrique. Lors d'un changement de système technique, on peut anticiper qualitativement l'ampleur du phénomène par
analogie, mais on ne peut pas prévoir exactement la nature des innovations qu'il va comporter. Dans 20 ou 30 ans, on peut retrouver le plein emploi. Toute économie parvenue à la maturité utilise
la totalité de la force de travail disponible.
En France, en 1812, les deux tiers de la population travaillaient dans l'agriculture. Ils étaient encore 33% en 1939. Jamais on n'aurait cru alors que l'agriculture puisse un jour fonctionner,
comme aujourd'hui, avec 3 à 4% de la population sans que cela ne mette le plein emploi en danger.
La transition est compliquée mais ce n'est pas sur elle qu’il faut focaliser son attention : il faut modéliser la structure cible de l'économie, l’ iconomie. La France est à la traîne, dans cette révolution. Ce n'est pas faute de parler du « numérique ». Mais justement, ce vocable fait oublier l'essentiel.
On parle beaucoup des effets médiatiques et culturels de ces mutations. On parle des problèmes de la presse, notamment. Mais presque jamais on n'évoque les effets sur le système productif. Les
politiques français ne connaissent pas les entreprises.
Or les chiffres européens sont clairs. La France a 5 fois moins de robots que l'Allemagne et 2 fois moins que l'Italie. De plus, le parc français de robots a vieilli. En France, la durée de vie
des robots est de 20 ans, en Allemagne, elle est de 10 ans.
Quand on discute de système d'information avec des dirigeants d'entreprise français, on entend très souvent : « L'informatique coûte trop cher.
». On en a un exemple avec Henri Proglio à la tête d'EDF. La seule consigne donnée à son DSI (Directeur des systèmes d'information) a été : « Diminuez le
coût de l'informatique. » C'est exactement l'opposé de ce qu'il faut faire. Une informatique modernisée rend l'entreprise plus fluide, permet d'améliorer la relation client, de
mieux la documenter. En France, peu d'économistes traitent ce sujet et les dirigeants de la politique et de l'économie n'y comprennent pas grand chose.