Vos parents sont nés à l'étranger ? Prouvez qu'ils sont français !
Nicolas Sarkozy écrit que " le sentiment de perdre son identité peut être une cause de souffrance profonde " (Le Monde du 9 décembre). Il ne croit pas si bien dire. L'histoire que j'ai vécue n'a
rien
d'exceptionnel. Depuis environ quatre ans, elle a touché des dizaines de milliers de nos concitoyens.
Le mécanisme est simple. Vous êtes français de naissance. Votre passeport délivré avant 2005 arrive à échéance, vous l'avez perdu, abîmé ou encore vous vous l'êtes fait dérober. Muni du titre
d'identité périmé ou de la déclaration de perte, vous allez à la mairie ou à l'antenne de police de votre arrondissement. Vous remplissez un formulaire. Il vous faut indiquer l'état civil et le
lieu de naissance de vos deux parents. Un fonctionnaire vérifie qu'ils sont bien nés en France. Si c'est le cas, il applique la procédure susceptible de vous faire obtenir, après vérifications,
un nouveau passeport dit sécurisé Dans le cas contraire, il la bloque.
Il y est obligé par le décret n° 2005-1726 relatif aux passeports : vous avez beau être français, né en France, y avoir toujours vécu, travaillé et voté, vous y être marié, y avoir eu des
enfants, avoir régulièrement reçu des papiers d'identité, cela ne vous autorise en rien à obtenir un
nouveau titre " sécurisé ". Si l'un de vos deux parents au moins est né à l'étranger, une nouvelle contrainte vous incombe : fournir la preuve qu'il est (ou était) bien français.
Telle est la situation faite aux Français dont un parent est né à l'étranger : on les met en demeure de prouver par
leurs propres moyens que l'administration française ne s'est pas trompée en conférant la
nationalité française à ce parent. Sinon, interdit de quitter le pays. Et ce, en vertu du décret d'application d'une loi que le gouvernement Villepin, dont Nicolas Sarkozy était le ministre de
l'intérieur, a fait voter en 2005 par l'Assemblée nationale. Les responsables de l'administration ont enfin la possibilité de remettre droit ce que leurs prédécesseurs, depuis un siècle, voire
plus, avaient laissé tordu. Dans les faits, les administrations n'appliquent pas ces recommandations. Elles se montrent d'une rigidité inflexible. Cela mène à une impasse injustifiable. Que cette
impasse résulte de la répugnance de tout fonctionnaire à prendre une décision qui le singularise et risque de créer des remous n'est en rien une circonstance atténuante. Je la trouve même
aggravante.
Pourquoi ce double langage hypocrite ? Je n'ai pas la réponse. Mais je ne peux tolérer de vivre dans un pays où l'on pratique, vis-à-vis d'une certaine
catégorie de citoyens, arbitrairement désignée, une forme de suspicion. Dans les faits, cela équivaut à une forme inédite de ségrégation. Il ne reste donc qu'une solution : faire amender cette
loi. Je ne peux pas croire qu'un seul des députés et sénateurs, de tous bords politiques, qui ont voté ce texte ait souhaité instaurer une situation aussi inique au seul nom de la " sécurisation
" des passeports. Je ne doute pas qu'ils auront à coeur de la corriger."
Michka Assayas
Ecrivain et producteur à France Musique