Roselyne Bachelot est privée de discours et d'élections régionales
Article Médiapart
Il est un peu plus de 17 heures, mercredi 7 octobre, à la tribune de la Mutualité, à Paris. L'Institut national du cancer (INCa) clôt ses premières rencontres annuelles. Depuis le matin, plus de mille personnes, le ban et l'arrière-ban de la lutte contre le cancer, sont venues dans l'espoir d'en apprendre un peu plus sur le futur plan cancer 2009-2013.
Le président de l'INCa, le professeur Dominique Maraninchi, est au pupitre et s'essaye à tenir encore un peu l'auditoire en haleine tandis que la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, entre dans la salle avec des membres de son cabinet. Quelques banalités vite expédiées et la ministre prend la parole. Coup de théâtre.
«J'avais préparé un beau discours, un discours que je remets à Dominique, mais le Président de la République m'a appelé il y a une demi-heure et m'a demandé de vous lire un message.» Et de déplier une feuille avant de débiter un texte insipide. Nouvelles banalités livrées sans conviction, quelque chose cloche, la voix paraît faussée.
Dans la salle, l'incompréhension gagne, notamment parce que la fadeur des mots ne correspond pas avec l'attente qui s'est exprimée avant, lors des tables rondes. Personne ne comprend. Roselyne Bachelot s'en aperçoit, qui lève les yeux... «C'est la lettre du président», souffle-t-elle, pour replonger dans le texte qu'elle expédie en moins de trois minutes d'une voix toujours aussi monocorde.
Quand elle descend, la ministre paraît sonnée mais fait face: «Il y a à peine une demi-heure que je sais que je dois lire le message du président et je le fais de bonne grâce.» Le rictus est semblable au ton: amer. On insiste. S'agit-il d'un camouflet? D'un désaveu du président? Ou de la volonté élyséenne de garder le pouvoir d'annonce sur un sujet très grand public? Roselyne Bachelot, qui se sait en délicatesse avec Nicolas Sarkozy depuis qu'elle hésite à prendre la tête de liste aux régionales dans les Pays de la Loire, a la présence d'esprit de choisir le moindre mal: «Le président veut faire lui-même les annonces.» Fait du prince, donc. Mais pour quels motifs? Elle ne répond pas, trouve une main à serrer avant de prendre l'allée qui va l'amener vers la sortie...
On apprenait, un peu plus tard, qu'elle renonçait aux régionales (au profit du conquérant Christophe Béchu, président du conseil général du Maine-et-Loire, député européen) pour se consacrer à la grippe H1N1. Elle le confirmait dans un entretien au quotidien Ouest-France, à paraître jeudi 8
octobre: «C¹est une décision que j¹ai effectivement prise depuis plusieurs semaines. J¹en avais avisé le Président de la République et le Premier ministre. Ce choix correspond à un élément nouveau qui n¹était pas connu au moment de ma candidature: le travail considérable, de jour et de nuit, pour la gestion de la grippe A.»
Un double débat qui fait rage
Dans l'entourage de Roselyne Bachelot, on prétend que personne ne sait où et quand et à quelle occasion Nicolas Sarkozy annoncera ce qui est dans le plan cancer 2. Les dirigeants de l'INCa abondent. A peine les dates du 25 et du
26 octobre sont-elles évoquées.
En plus de son retrait tardif de la course aux élections régionales, Roselyne Bachelot a vraisemblablement été interdite de parole parce qu'elle vient de perdre son bras de fer avec le lobby du tabac soutenu par Xavier Bertrand, le secrétaire général de l'UMP. Parmi les mesures du plan avancées par le professeur Jean-Pierre Grünfeld, qui a remis un rapport sur le sujet à Nicolas Sarkozy, la prévention, qui était la grande oubliée du plan cancer devait constituer un des axes importants. Certains au ministère de la santé plaident pour que cette action en amont de la maladie soit alimentée par une taxe sur le tabac.
Un double débat fait rage. Entre ceux qui veulent augmenter le prix du tabac lourdement (10% par an sur plusieurs années) et ceux qui acceptent unehausse de 6% sur une seule année. Le lobbying a été féroce. Les considérations électorales aussi. Le congrès des buralistes a lieu les 15 et
16 octobre et l'UMP voit d'un très mauvais ¦il toute annonce avant que les vendeurs de tabac n'aient regagné leur comptoir. Elections régionales obligent. En plus de la taxe carbone, le gouvernement peut-il se payer le luxe d'une augmentation du prix du tabac?
Or, Roselyne Bachelot dit sur tous les toits qu'il faut augmenter le prix de 10% par an sur plusieurs années puisque c'est encore le moyen le plusefficace trouvé pour faire baisser la consommation et donc la mortalité liée au tabagisme.
Le deuxième débat oppose ceux qui se contenteraient d'une hausse et ceux qui voudraient que le plan cancer installe une taxe dont le montant n'irait pas dans la poche des fabricants et des vendeurs mais à la lutte contre le cancer. «10% par an pendant je ne sais plus combien d'années... c'est trop!, a déclaré le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand, sur l'antenne de LCI le 6 octobre. Je pense qu'il faut aussi bien comprendre que la question du prix n'est pas le meilleur élément pour permettre de diminuer le tabagisme.» C'est pourtant le même Xavier Bertrand qui s'est battu quand il était ministre de la santé à la place de Roselyne Bachelot pour que les prix augmentent et que les lieux publics soient sanctuarisés de toute volute...
On sait depuis mercredi qui a gagné. Et l'on peut dire que l'INCa, comme la cause qu'il sert, ont été pris en otage et auront vécu en direct à la Mutualité la déroute de leur ministre de tutelle.
Pauvre Roselyne Bachelot, elle qui avait l'intention, il y a quelques semaines, d'annoncer en personne le plan, avait déjà dû manger son chapeau.
Elle reconnaissait, par exemple sur BFM-TV, qu'elle n'aurait pas l'honneur d'en faire l'annonce mais que ce serait au Président qu'il reviendrait de dire comment l'Etat va se positionner pour empêcher une maladie dont les cas risquent de doubler dans les cinq ans. Beaucoup plus grave, voilà maintenant qu'elle perd la bataille de la santé publique.
A l'issue de l'incident, la ministre remontée dans sa voiture de fonction, Dominique Maraninchi et Francis Larra, le président de la Ligue contre le cancer, se montraient cependant optimistes. «J'ai des assurances, commentait le premier, il y a des arbitrages budgétaires à faire, tout n'est pas calé à Bercy, mais il y aura plein de choses sur la recherche, le soin, la prévention. Ce sera un vrai plan de lutte contre le cancer.» Même son de cloche à la Ligue. «Il y a un différend sur le tabac mais sur le reste, ce que la Ligue a demandé, une vraie inflexion sur les inégalités liées au cancer, sera dans le plan et figurera comme une priorité», dit le b représentant des malades, qui n'en est pas moins médecin.
A suivre. Quand on connaît le milieu de la lutte contre le cancer en France, il ne fait aucun doute que l'incident de mercredi aura des conséquences. Il va être très intéressant de voir ce que va faire Nicolas Sarkozy avant la fin du mois. Prendra-t-il le risque de l'impopularité, après la taxe carbone, en taxant le tabac? Ou décidera-t-il de céder à Xavier Bertrand?
Reste le précieux discours écrit et pas prononcé et qui a été effectivement remis à Dominique Maraninchi. Il le garde en souvenir. C'est ce qu'il a juré à la conseillère de la ministre.
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