Dans le bouillon de sinistrose dans lequel baignent aujourd’hui les Français - leur moral serait, selon BVA-Gallup, le plus bas du monde, pire que celui des Afghans ou des Irakiens - même les bonnes nouvelles prennent « un coup de spleen ». C’est le cas du DMP dont la renaissance a été fêtée « sans tambour ni musique », au ministère de la santé, en présence du ministre, Xavier Bertrand, le 5 janvier dernier et sous le portrait d’un Pierre Laroque, placide.
Parce qu’après tout, depuis qu’on en parlait, recroquevillé sur sa schizophrénie (partagé ou personnel ?), le monstre vivait caché. Et le voilà enfin au grand jour, plutôt sympathique, prêt à conquérir la toile française.
Le faible retentissement de cette opération de non-com a sûrement été voulu par les ténors nationaux. On remarque d’ailleurs que, 5 jours après, ni le site du ministère de la santé, ni celui de l’ASIP ne restituent l’intégralité de l’événement.
Échaudé par l’annonce aussi maladroite qu’irréfléchie en 2005 d’une généralisation du dossier médical personnel, après que Douste-Blazy eut préféré les lambris du Quai d’Orsay, Xavier Bertrand a fait preuve d’une prudence de sioux. « J’étais jeune ministre, j’ai écouté beaucoup d’avis. J’ai un regret : celui de ne pas avoir suivi ma conviction profonde » dit-il plein de componction devant un parterre dans lequel devaient d’ailleurs se trouver les conseillers de l’époque. Époque où Jean-Yves Robin lui-même, grand-chef de l’ASIP, était patron d’Uni-médecine et parcourait les provinces françaises pour offrir un dossier médical, aujourd’hui DMP-incompatible, aux réseaux de diabétiques.
Au fond, la tiédeur donnée à cet événement n’est probablement liée ni au pessimisme ambiant, ni à des couleuvres anciennes. Le DMP n’est plus l’objet unique et essentiel des systèmes d’information de santé. On dirait même qu’il en devient l’accessoire. La réflexion a considérablement mûri, sûrement sous les flèches répétées de Michel Gagneux dont le rapport au napalm sur la gestion ancienne est à l’origine de la création de l’ASIP.
La réunion du 5 janvier était l’occasion de mesurer le chemin parcouru par les neurones de l’intelligentsia de l’information de santé. Trois évolutions sautent aux yeux du quidam normalement « cortiqué » :
- D’abord la place qu’occupe le patient (l’usager, le citoyen… peu importe, c’est le même) dans l’édification du système. Le Collectif Interassociatif sur la Santé (le Ciss) comble avantageusement le vide laissé par des syndicats de salariés anéantis et des employeurs complètement éteints. L’asymétrie d’information, chère aux économistes dans les années 70, tend à se réduire. Le patient, dans trois cas sur quatre, internaute aguerri aux nouvelles technologies, devient un acteur de sa santé et se place à égalité avec son médecin. Christian SAOUT qui, manifestement depuis quelque temps jette un peu moins d’huile sur le feu du corps médical représente, qu’on le veuille ou non, ce pouvoir jusque-là silencieux et devenu limite licencieux pour notre plus grand plaisir.
- La seconde évolution découle directement des turbulences démographiques de la corporation médicale, déjà largement décrites dans le rapport d’Elisabeth Hubert évoqué ici-même. Le médecin généraliste, dans un petit monde jusque-là « iatrocentré » et créé à son image, va devoir apprendre à partager son job, pénurie oblige, avec d’autres professionnels. À écouter le ministre, on n’a pas besoin d’un DMP, nécessairement incomplet pour cause de masquage et autre avatar, pour partager de l’information entre professionnels. Le DMP reprend son « p » de « personnel » sans autre forme de procès et répond maintenant clairement à la demande des citoyens de gérer eux-mêmes leurs informations santé sur Internet comme ils le font pour le reste.
- La troisième enfin touche à la gouvernance. L’ASIP, comme le dit sa belle brochure de communication, est « un opérateur public chargé du déploiement des systèmes d’information de santé » dont le rôle est de « développer les conditions favorables à l’échange et au partage des données de santé ». En gros, cette fringante agence d’Etat est là pour accompagner la « révolution numérique » qui, contre toute attente, ne semble pas avoir encore défrisé le monde médical si l’on en juge par les démêlés de la CNAMTS avec certains médecins sur l’utilisation de la carte Vitale. On se demande si ces professionnels évangélisés à la religion du « contre-tout », ont un jour franchi un péage autoroutier ou simplement pris de l’essence pour considérer comme une charge l’utilisation d’une carte à puce.
Avec l’intervention de Jean-Paul Hamon, président de la FMF, invectivant le ministre sur l’utilisation par les médecins de ce dossier, on a cru un moment retomber dans les tortueux débats de 2005 que Dominique Coudreau (coup de chapeau rétrospectif pour l’occasion) a eu tant de mal à canaliser.
Ouf ! On l’a échappé belle !