La sociologue Monique Dagnaud, directrice de recherche à l’EHESS, est l’auteure de la Teuf : essai sur le désordre des générations (édition du Seuil, 2008).
Ces rassemblements s’inscrivent dans une culture festive débridée qui s’est développée au début des années 2000. Ils se situent au croisement de la culture Facebook, qui implique d’avoir le plus grand nombre d’amis, et de la fête étudiante. Par-dessus cela, on assiste au détournement d’un rendez-vous bien ancré dans la culture française : l’apéro. Ajoutez-y la formidable puissance virale de Facebook et vous obtenez ces grands rassemblements, organisés dans les centres-villes et regroupant toutes les classes sociales. Les apéros géants, c’est l’esprit d’un réseau virtuel traduit dans la vie réelle.
Leur objectif affiché est de créer un fort bruit médiatique en lançant une compétition entre les différentes villes de France. Derrière cela, il existe une aspiration plus profonde : la recherche d’une apothéose collective. Les jeunes veulent vivre au présent plutôt que de se projeter vers un avenir qui pourrait laisser pessimiste. Les apéros géants permettent aussi aux adolescents et aux post-adolescents de rappeler au monde des adultes qu’ils existent. Pour s’en assurer, ils se réunissent dans les centres-villes et mentionnent longtemps à l’avance leur lieu de rendez-vous. Finalement, c’est l’inverse des rave parties, qui, elles, se déroulent sur des terrains désaffectés à la campagne, dont l’emplacement reste secret jusqu’au dernier moment.
Aujourd’hui, il y a de l’alcool dans tous les types de fêtes. Pas davantage dans les apéros géants, où l’immense majorité des participants ne se met pas dans un état d’ivresse extrême. L’objectif reste de se réunir dans une ambiance bon enfant, ce qui n’exclut pas des excès. Le récent phénomène du binge drinking[«biture express», ndlr] nous montre que, désormais, les jeunes boivent moins en moyenne, mais beaucoup plus lors d’événements ponctuels.
Les pouvoirs publics sont déconcertés face à un concept nouveau. Ils hésitent entre interdire, mettre en garde et accompagner bon gré mal gré. Je trouve assez étonnant qu’ils n’aient pas vu venir ce phénomène, qui, vue la puissance virale de Facebook, était prévisible. Les mairies, les policiers et les gendarmes doivent à présent prévenir.
Reprenons l’exemple des rave parties. Ces fêtes, dans lesquelles on trouve souvent plus d’alcool et surtout plus de drogues que dans les apéros géants, sont aujourd’hui bien gérées par les pouvoirs publics. Il serait incroyable de ne pas pouvoir faire de même avec les apéros géants, qui posent cependant une nouvelle difficulté : la fête se déroule au beau milieu des centres-villes. Il faut donc trouver les méthodes d’encadrement appropriées. Une chose est sûre : interdire les apéros géants ne tendra pas à raffermir les liens entre les jeunes et une société dans laquelle ils trouvent de plus en plus tard et de plus en plus difficilement leur place.