Cette fois, c'est sûr, "le bouclier fiscal est entaillé", a reconnu Jean-François Copé, lundi 17 mai sur RTL. Mais il l'est pour la bonne cause : celle des retraites. Le gouvernement a publié dimanche soir un "document d'orientation" sur la réforme, qui précise les grandes lignes sur lesquelles le gouvernement compte agir. Et parmi les engagements de ce texte "la mise en place d’une contribution supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital", qui "ne donnera pas droit à restitution au titre du bouclier fiscal". Le dogme martelé depuis des mois sur la nécessité de maintenir et d'imposer ce bouclier – selon lequel personne ne peut être taxé à plus de 50 % de son revenu – est donc écorné. Surprise, ou opération calculée ?
Dimanche encore, Frédéric Lefebvre répétait pourtant qu'il n'était "pas question de renoncer au bouclier fiscal". Mercredi, Eric Woerth et Luc Chatel avaient fait de même. "On ne touchera pas au bouclier fiscal pour régler quoi que ce soit", avait assuré le premier. "Le bouclier fiscal sera maintenu parce que c'est une question de principe, de philosophie budgétaire", avait confirmé le second. Ce revirement marque en tous cas une nouvelle étape dans la stratégie de communication du gouvernement sur les retraites. Une stratégie de long terme, visant à faire passer en douceur cette réforme difficile, la dernière sans doute du quinquennat.
. La première étape de cette stratégie consiste à sensibiliser les Français au débat sur les retraites. Dès septembre dernier, cette réforme, promise par Nicolas Sarkozy devant les parlementaires en juin 2009, est mise sur la table. L'échéance prévue lors de la loi Fillon de 2003 était pourtant 2012, mais Nicolas Sarkozy a choisi de l'anticiper et de lancer le débat dès 2010.
Un débat bien préparé : le 11 janvier, Le Journal du Dimanche publie un sondage IFOP indiquant que les Français sont à 76 % peu ou pas confiants dans le fait de toucher une retraite satisfaisante à l'avenir. Plusieurs médias multiplient les articles sur le sujet, aux titres souvent évocateurs. Cette réforme "sera un signe de sérieux", promet ainsi Alain Minc dans Le Figaro.
Dans ses recommandations, le COR envisage un allongement de la durée de cotisation, pour parvenir à 43 ans en 2020. Le gouvernement lance également des ballons d'essai, dont celui d'un recul progressif de l'âge du départ à la retraite, contre lequel les syndicats, reçus un par un par le ministre du Travail, Eric Woerth, sont vent debout.
Une fois le débat installé, reste à créer un rapport de force. Les consultations entre gouvernement et partenaires sociaux en sont l'occasion. Tout au long du mois d'avril, le gouvernement consulte à tout-va. Le 12 avril, Eric Woerth se défend de toute précipitation. "On en parle depuis des années, il faut surtout passer à l'action", explique-t-il lors d'une conférence de presse. Peu à peu, le gouvernement fixe les bornes du débat : pas de baisse des pensions, pas de hausse des prélèvements. Ce qui laisse peu d'options, notent les syndicats.
Finalement, le gouvernement s'apprête à faire exception à son bouclier, selon le document d'orientation sur la réforme remis dimanche 16 mai aux partenaires sociaux. C'est une concession de taille : cette mesure est un "pilier" de la politique de Nicolas Sarkozy, que deux ans de critiques incessantes de la gauche n'ont jamais fait changer d'avis. Pourtant, ce bouclier fiscal coûte cher électoralement parlant : il est vu comme un cadeau aux plus riches et, crise aidant, devient de plus en plus lourd à porter pour la majorité.
Reculer sur cette question pour proposer une contribution exceptionnelle des hauts revenus au financement des retraites permet d'atteindre un double objectif : d'une part, le gouvernement se devait de faire un geste, même symbolique, de justice sociale et fiscale, alors que le pays traverse une grave crise économique. Profiter du débat sur les retraites permet de transformer en concession avisée ce qui aurait pu apparaître comme un recul.
Ensuite, ce geste permet de valider le cadre de la discussion tel que voulu par le gouvernement : S'il prend en compte certaines revendications des syndicats sur la pénibilité, le document d'orientation exclut en effet toute hausse générale des impôts et toute baisse des pensions et précise que "seule l'augmentation progressive de la durée d'activité est de nature à répondre au choc démographique auquel est confronté le régime des retraites". Le débat national est donc clos, ou presque, les pistes largement bornées
Dramatisation des enjeux, fermeté affichée, concessions et cadrage du débat : cette succession d'étapes peut s'adapter à nombre de réformes. Même si, le 18 avril dernier, Eric Woerth assurait, sur Europe 1 : "Il n'y a pas aujourd'hui de réforme dans un coffre-fort ou dans un tiroir qu'on sortira le moment venu", à voir la précision avec laquelle s'est mise en place la communication du gouvernement sur le sujet des retraites, on a le sentiment d'une planification de longue date.
Prochain rendez-vous désormais : le projet de loi que devrait présenter le gouvernement, d'abord aux partenaires sociaux, fin juin, puis en conseil des ministres en juillet. Ce projet de loi arrivera à l'Assemblée en septembre. Les syndicats promettent de mobiliser les salariés à cette période s'ils n'ont pas été entendus.