Le sondage Ipsos publié vendredi dans le Monde donne une image littéralement effrayante de l’état d’esprit des Français. On constate, d’étude en étude, que les Hexagonaux détestent la mondialisation, ont horreur du capitalisme (plus que les Chinois), désespèrent de l’Europe et sont persuadés qu’un déclin inexorable nous entraîne dans une chute sans fin.
La France présente de surcroît toutes les caractéristiques du populisme : forte demande d’autorité (87% pensent que la France a besoin «d’un vrai chef pour remettre de l’ordre»), rejet brutal de l’immigration, aversion de la religion musulmane, sentiment massif de dépossession, détestation du monde politique.
A lire ce sondage, la France n’est pas seulement décliniste, elle ne traverse pas une simple crise d’identité, elle est entrée en dépression et présente tous les signes d’une nation blessée, en proie à une terrible mélancolie, prête à suivre les pires démagogues.
On a souvent remarqué que les Français, très critiques à l’égard de leur société, se montrent beaucoup plus positifs dès qu’il s’agit de leur environnement personnel, familial ou privé. On sait aussi à l’expérience que ces terribles procureurs s’adoucissent brusquement dès qu’ils se fondent sur leur expérience directe, qu’ils critiquent la bureaucratie mais apprécient les services publics, qu’ils vitupèrent le Parlement et le gouvernement mais font exception pour leurs élus.
Reste à tenter de comprendre non pas pourquoi la France est furieuse et anxieuse mais pourquoi elle l’est beaucoup plus que dans les pays les plus comparables au nôtre.
La première raison tient peut-être au déni de réalité qui a marqué la quasi-totalité des gouvernants, présidents en tête, et la totalité des campagnes électorales depuis trente ans : jamais on n’a proclamé, assumé au grand jour l’état de crise aiguë ou proposé les remèdes de cheval nécessaires
Par ailleurs, ce qui n’a rien de contradictoire, depuis quand n’a-t-on pas proposé, a fortiori mis en œuvre un vrai grand projet national, susceptible de mobiliser la société pour faire face aux impérieuses métamorphoses ? Chez nous, personne. Il y a eu des réformes, parfois du caractère, jamais un élan collectif.
Pire : on a laissé dépérir ce qui constituait le moteur français de la société, l’école et la méritocratie. On a donné des réponses réglementaires archaïques à des problèmes nouveaux, d’où ce record aberrant des dépenses publiques.
Le paradoxe français est qu’aucun pays ne dépense plus pour la solidarité sociale mais qu’aucun pays ne fabrique autant d’insatisfaction. Quant aux réformes, elles butent toujours contre les intérêts et les corporatismes et, du coup, n’atteignent jamais l’ampleur nécessaire : c’est éclatant, s’agissant des retraites, de la fiscalité ou de la santé. La France se sclérose parce qu’elle n’ose pas se réformer assez audacieusement, à force de rechercher un introuvable consentement général.