Payer un vigile jour et nuit pour surveiller un immeuble vide, programmer des automates pour allumer la lumière à la nuit tombée et ainsi donner l’illusion que le bâtiment est occupé. Pourquoi certains propriétaires vont jusqu'à dépenser de l’argent pour garder leur immeuble vide plutôt que de le louer ? Y a-t-il des raisons économiques, rationnelles, qui les poussent à se priver des revenus locatifs ? La question est d’autant plus intrigante dans une ville comme Paris, où les loyers sont très élevés et donc le manque à gagner important pour les propriétaires. Dans la capitale, près de 17 000 logements étaient concernés par la taxe sur les logements vacants en 2007 (qui s’applique aux habitations vides depuis plus de deux ans). On estime qu’il y a par ailleurs 4,5 millions de mètres carrés de bureaux inoccupés en Ile-de-France, dont 1,1 million à Paris.
Certains appartiennent à des petits propriétaires, les autres à des compagnies d’assurance, banques et autres fonds d’investissement étrangers dont le patrimoine immobilier dans la capitale est parfois colossal. Les raisons de la vacance sont évidemment complexes, très différentes selon qu’il s’agisse d’un immeuble de bureau ou de logement, d’un propriétaire privé ou d’un institutionnel. On a posé la question à des gestionnaires de parc immobilier.
Un logement vide se vend plus cher qu’un logement occupé Si un propriétaire envisage de vendre son bien, il peut avoir intérêt à le laisser vide quelque temps: il le vendra plus cher. Un logement ou bureau vendu occupé perd entre 10 et 20% de sa valeur sur le marché, car l’acquéreur ne peut pas jouir instantanément de son bien. La loi permet au locataire de rester dans les lieux jusqu'à la fin du bail, même en cas de changement de propriétaire. Trois ans pour un bail d’habitation classique, jusqu'à neuf ans pour un local professionnel. Bien sûr, il est économiquement irrationnel de ne pas louer, juste parce qu’un jour on souhaitera vendre. Mais, pour une période de deux ans (plus pour les bureaux), un conseiller immobilier peut recommander de laisser le bien vide, explique un expert.
Avenue Matignon, en plein cœur du VIIIe arrondissement, quartier huppé de Paris. Quelque 2 100 mètres carrés de bureaux inoccupés depuis 2007. Un exemple parmi d’autres. L’hiver dernier, le collectif Jeudi noir, qui milite contre le mal-logement, a squatté les lieux plusieurs mois avant d'être expulsé. Depuis, le bâtiment est toujours vide. Pourquoi donc Axa (et les propriétaires dans le même cas) ne mettent-ils pas à disposition leur(s) bâtiment(s) pour de l’hébergement d’urgence le temps de la procédure ? «Parce que, pénalement, s’il se passe le moindre problème, nous serions tenus responsables et pourrions être poursuivis. Le bâtiment n’est pas aux normes, il ne peut pas être loué en l'état», répond Axa. Faux, rétorque Eric Pliez, directeur général de l'association Aurore, en charge, entre autres, de centres d'hébergement d'urgence. «A partir du moment où une convention d'occupation à titre précaire est établie, il n'y pas de problème de responsabilité. La commission de sécurité de la Préfecture de police de Paris vient juger sur place si le bâtiment répond aux exigences de sécurité et, si besoin, nous faisons des travaux, à notre charge. L'AP-HP a mis à notre disposition un bâtiment à titre temporaire, les bailleurs privés peuvent faire pareil.
De nombreux immeubles, transformés en bureaux dans la capitale, sont vides aujourd’hui, désertés par les entreprises préférant des tours neuves en périphérie. Pourquoi donc ne pas retransformer les bureaux haussmanniens en habitation et les proposer à la location ? Tout simplement parce que louer des bureaux est bien plus rentable que la location de logements. «Tu loues plus de mètres carrés d’un coup, nous explique un gestionnaire de patrimoine parisien. Et les loyers sont plus élevés. En moyenne, à Paris, dans le bureau, c’est 400-500 euros le mètre carré par an. Ça monte à 900-1 000 euros dans les beaux quartiers... Quand un appartement se loue à peu près 250-300 euros le mètre carré par an.» Le calcul est vite fait. Bien entendu, dans l’absolu, les bureaux vides rapporteraient toujours plus en étant loués sous forme d’appartement. Mais, en pratique, cela nécessite des prises de décision rapides, plusieurs autorisations administratives et un temps incompressible de travaux. Au final, les propriétaires préfèrent attendre, même longtemps, de trouver une entreprise locataire.
La situation que vit notre pays aujourd’hui est suffisamment grave pour justifier des mesures fortes et exceptionnelles qui viennent d’être décrites ci-dessus. Tout est possible !