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Le blog de Eric de Falco

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conseiller général du 1° canton de Rouen


La peine de mort en sursis?

Publié par Eric de Falco sur 3 Juillet 2013, 06:15am

D’ordinaire, ils ne parlent pas. Les bourreaux n’ont pas de nom, pas de visage, et ne sont pas censés avoir d’états d’âme. «Quand j’exécutais des condamnés, même ma femme n’était au courant de rien», se souvient Jerry Givens, 60 ans, ancien bourreau de l’Etat de Virginie et l’un des premiers à avoir brisé ce silence. «Je ne voulais pas que cela affecte ma femme, je ne voulais pas qu’elle ait à vivre tout ce que je ressentais», explique-t-il, attablé dans un restaurant de sa ville de Richmond, devant un poisson qu’il doit parfois s’arrêter de manger quand son récit devient trop macabre. «Mais puisque cette mort que nous donnons est légale, approuvée par les électeurs, pourquoi se cacher ?» demande-t-il, entre deux bouchées.

 «Quand les gens font des choses dont ils ont honte, ils tendent à le faire en secret, répond l’avocat Steve Northup, directeur du groupe Virginians for Alternatives to the Death Penalty («les citoyens de Virginie pour des alternatives à la peine de mort»), un mouvement abolitionniste où milite maintenant Jerry Givens. Les juridictions qui pratiquent des exécutions se donnent beaucoup de mal pour garder secrètes les identités de toutes les personnes impliquées.»

 La peine de mort est encore en vigueur dans 34 des 50 Etats américains. Plus de 3 000 condamnés y attendent leur dernière heure dans les célèbres «couloirs de la mort». Ces dernières années, le nombre d’exécutions est toutefois en baisse (43 exécutions en 2012, contre une soixantaine par an, ou plus, au début des années 2000). Plus de 60% des Américains se disent encore favorables au «châtiment suprême», mais ce soutien a tendance à décliner. Le témoignage des bourreaux contribue à cette lente évolution.

Pour le bourreau, la mise à mort d’un condamné se décompose en une succession d’étapes bien codifiées, raconte Jerry. «Sur le coup, je pensais surtout à exécuter correctement mes tâches afin d’éviter l’erreur qui ferait souffrir le condamné. Après son dernier repas, le prisonnier a droit à une douche. Puis, s’il est condamné à être électrocuté, je dois lui raser la tête et sa jambe droite, où seront placées les électrodes, pour éviter que les poils ne prennent feu. Ensuite, il a droit à un ultime coup de fil. Puis on lui lit encore une fois sa condamnation à mort. Pendant que je leur coupais les cheveux, je leur demandais si je pouvais prier pour eux. Certains disaient oui, d’autres répondaient que ça leur était égal.» A l’époque, Jerry Givens était convaincu du bien-fondé de la peine de mort. Adolescent, il avait vu une jeune fille tuée sous ses yeux lors d’une fête. Les assassins coupables de pareils actes ne méritent que la mort, pensait-il.

 «La plupart des condamnés me parlaient, poursuit Jerry. Ils me demandaient si ça allait leur faire mal… Je leur répondais que je n’en savais rien, je n’avais jamais été à leur place. Ou bien ils me demandaient ce qui viendrait après la vie. Là aussi, je devais leur dire que je l’ignorais. Certains faisaient des blagues. Ils me demandaient quelques minutes de plus, pour être bien propres quand ils arriveraient au paradis ou bien me priaient de leur faire une belle coupe de cheveux. D’autres étaient sérieux. L’un avait commandé un sandwich de McDonald’s mais n’arrivait pas à l’avaler. Il m’a demandé de le mettre au frigo pour le lendemain. Il n’avait pas réalisé que c’était son dernier jour. Certains étaient contents d’en finir. D’autres se battaient jusqu’à la dernière minute avec leurs avocats pour tenter d’obtenir un sursis.»

 Le pire, pour Jerry Givens, c’était les exécutions par injection, devenues les plus courantes aux Etats-Unis. «Quand tu prends la seringue, tu te sens beaucoup plus proche du condamné que lorsque tu dois juste presser un bouton. Là, tu vois la solution chimique couler, c’est comme si tu voyais la mort avancer dans le tube.» Son autre hantise aujourd’hui est que des innocents aient pu se trouver parmi les 62 hommes qu’il a tués : «J’espère vraiment qu’il n’y avait pas d’innocents parmi eux, dit-il. Si jamais j’apprenais que j’ai exécuté des innocents, je ne sais pas quel effet cela aurait sur moi.

 Aujourd’hui reconverti comme conducteur de camions de chantier, Jerry sillonne les Etats-Unis pour son travail, mais aussi pour témoigner de sa conversion et sa nouvelle foi abolitionniste. «Beaucoup défendent encore la peine de mort, mais quand je demande au public : "Qui voudrait faire ce boulot de bourreau ?" personne ne lève la main.» Militer l’aide aussi à surmonter ce passé de tueur, explique-t-il. «Si je gardais tout cela à l’intérieur de moi, je risquerais d’exploser.» Beaucoup de ses anciens collègues souffrent de stress post-traumatique, rapporte Jerry qui assure «être OK» lui-même : «Je crois que Dieu m’a fait faire cela pour que je puisse maintenant témoigner.»

Ces anciens exécuteurs devenus opposants à la peine de mort forment un petit club, très informel, d’une dizaine de collègues, confie Ron : «On s’appelle quand on n’a pas le moral. Dernièrement, un confrère m’a demandé ainsi comment je faisais pour tenir le coup. Ma recette ? Une épouse qui me soutient vraiment, une bonne thérapeute et un peu de médicaments.» Au moins deux anciens bourreaux se sont suicidés ces dernières années aux Etats-Unis. Des dizaines d’autres vivent cachés, encore convaincus de leur «mission» ou gardant leurs traumatismes pour eux, en silence.

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